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l’isolement, les unirait au feld-maréchal prussien, et grouperait autour de celui-ci une force d’environ 100,000 soldats, c’est-à-dire double de celle dont disposait Napoléon.

Vers dix heures et demie du matin, l’artillerie coalisée commence à battre les remparts de Soissons, mais les canons de la place, servis par de vieux militaires, ripostent avec vigueur. Le feu dure jusqu’à trois heures après midi.

Alors une colonne russe traverse le ruisseau de la Crise et tente l’assaut. La mitraille, la mousqueterie, rompent l’élan des assaillants. Le colonel Kozynski rassemble 300 Polonais et charge les Russes à la baïonnette ; il les rejette dans le faubourg dit « de Reims ». Là, les ennemis se reforment et couvrent la poignée de braves d’une grêle de projectiles. Rien n’arrête cependant les vaillants compagnons de Kozynski, et celui-ci, quoique blessé au bras d’un coup de feu, enlève le faubourg et met l’ennemi en fuite.

Cependant au loin, du côté de l’Ourcq, le bruit confus de la canonnade parvient aux oreilles de Bulow, de Wintzingerode. Ce sont les corps de Marmont, de Mortier qui écrasent l’arrière-garde de Blücher en retraite, de Blücher qui, à Fismes, va se trouver arrêté par Napoléon en personne.

Bulow sent que si Soissons résiste, c’en est fait de l’armée de Silésie, c’en est fait de lui-même. Il entrevoit vaguement les conséquences de la déroute. L’armée de Bohême astreinte à regagner la frontière, la France, galvanisée par la victoire, se dressant derrière l’Empereur, les sacrifices, consentis par l’Europe depuis 1812 pour abattre la grande nation, devenus inutiles. C’est l’empire affermi, la terre de la Révolution, de la Liberté, délivrée… C’est la marche triomphale de l’Idée… C’est le principe antique de la Légitimité renversé par la formule plus haute : Humanité.

Et de son émoi, de ses nerfs crispés, jaillit la pensée qui doit empêcher le triomphe de la France, de la Liberté. Il laisse à Wintzingerode le commandement des troupes, et revêtu de l’uniforme d’un simple commandant, précédé d’un trompette, accompagné de deux cavaliers portant le drapeau blanc des parlementaires, il se dirige vers la ville.

À cette heure, le général Moreau était en proie aux plus ridicules terreurs.

— Soissons, se disait-il, ne saurait supporter, durant plus de deux ou trois journées, le choc de la nombreuse armée qui l’entoure. Résister, c’est condamner à mort les quelques centaines de soldats que je commande.

Chose étrange. Moreau, bon soldat jusque-là, Moreau qui avait donné