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— Pas un geste, pas un cri.

Vidal se tut, non par crainte, mais parce qu’Alexandre répliquait :

— Toute explication est inutile, monsieur Bilmsen. J’appartiens à une association qui a jugé bon de se plier à vos combinaisons… matrimoniales ; … je me soumets, non comme empereur, mais comme membre du Tugendbund. Je vais parler à la pauvre enfant que vous avez désignée… Ensuite, je me lave les mains de ce qui arrivera, et je désire que rien ne me rappelle votre existence.

Il était impossible de marquer plus de mépris pour le trafiquant de secrets d’État, pour le détenteur des lettres de Joséphine. Vidal murmura :

— Bien cela !…

Mais sa satisfaction fut de courte durée. Un groupe de personnes émergea des ténèbres, parut dans la zone éclairée par les torches, et le capitaine dut s’appuyer au mur en gémissant d’une voix étranglée :

— Lucile ! d’Artin !

Au milieu de soldats, la jeune fille s’avançait en effet, suivie par le vicomte.

Celui-ci s’inclina profondément devant le Czar, puis lentement :

— Sire, permettez-moi de présenter à Votre Majesté Mlle Lucile de Rochegaule.

Droite et fière, Lucile se tenait ainsi qu’une accusée devant des juges dédaignés. Très pâle, elle ne salua pas ; mais son clair regard se posa sur celui du Czar qui détourna les yeux :

— Je vous remercie, vicomte, fit celui-ci, du zèle que vous apportez au service des partisans de la paix. Nul doute que votre dévouement ne reçoive la récompense qu’il mérite.

D’Artin se pinça les lèvres. Il sentait l’ironie mordante cachée sous ces paroles louangeuses.

Néanmoins il exécuta une révérence de cour.

— Pour vous, Mademoiselle, reprit Alexandre, j’ai désiré vous voir. Certes, j’aurais préféré un endroit moins triste que celui-ci ; mais à cette heure, je suis soldat et c’est en soldat que je reçois. Issue d’une race guerrière, vous excuserez le souverain en campagne.

Lucile eut une légère inclination de tête.

— Il est de par le monde, poursuivit le Czar après un silence, un fils des rois de France qui me semble appelé à régner sur un peuple fatigué de guerres et de massacres. Exilé encore de sa patrie, il m’a prié de vous entretenir en son nom, c’est lui qui parle par ma bouche.