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herbes. Alentour des murs élevés, écrêtés par le temps, découpés en silhouettes bizarres par des éboulements, percés d’ouvertures disparates : baies romanes trapues à la partie inférieure, fenêtres ogivales dans la partie plus haute.

Et bien loin au-dessus, le ciel sombre, où des nuages imprécis couraient ainsi qu’un plafond mobile.

Par les ouvertures, veuves de leurs panneaux, croisillons et vitres, des arbustes passaient leurs branches dénudées, qui semblaient s’accrocher aux pierres comme les pattes de colossales araignées.

Un tas de décombres isolait du reste de la cour le coin où Marc se tenait avec ses gardiens.

En face de lui, de l’autre côté de ce rempart édifié par le temps, plusieurs hommes étaient assis sur des pierres. Des soldats de la garde impériale russe les éclairaient, à l’aide de torches dont la flamme rougeâtre et dansante donnait à toute la scène un aspect fantastique.

Vidal frissonna.

Dans l’un des personnages il venait de reconnaître le Czar.

Alexandre, en effet, était là, vêtu d’un pantalon gris, d’un babil vert et d’un surtout garni de fourrures. Son visage, alternativement éclairé par les torches et noyé d’ombre, semblait radieux.

— Alexandre, prononça une voix rude, cette nuit vaut une victoire pour nos armes.

Marc étouffa avec peine un cri de surprise.

Celui qui venait de parler s’était avancé en pleine lumière et le jeune homme murmura :

— Frédéric-Guillaume de Prusse.

Ah çà, devenait-il fou ? Quelle apparence y avait-il que les souverains coalisés se fussent donné rendez-vous, dans ces ruines de l’Abbaye — il se remémorait maintenant ce lieu, où, durant, sa convalescence, il s’était promené naguère.

Mais comme pour lui enlever tout doute, l’Empereur de Russie répondit :

— Frédéric-Guillaume, mon ami fidèle, je l’espère comme vous.

— Espérer n’est point suffisant, Sire… Il faut avoir la certitude que, cette nuit, nous avons vaincu l’usurpateur.

— Allons, allons, mon cher comte Pozzo di Borgho, je ne demanderais pas mieux ; mais si cette jeune fille résiste ?…

— Nous la contraindrons.

Une sueur froide mouilla les tempes de Marc Vidal.