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et j’en serais fâché, pour vous d’abord, et pour d’Artin ensuite, lequel ne connaîtrait jamais ce que vous avez à lui apprendre.

Tout en parlant, il entraînait l’adolescent vers la porte. Sur le seuil, il regarda les soldats groupés à peu de distance, en appela un et lui enjoignit de reconduire le prisonnier sur la route.

— Allez, conclut-il en manière d’adieu. N’oubliez pas mes recommandations. Pour qui n’est pas soldat, le courage n’est que la seconde des vertus, la première est la prudence.

Milhuitcent salua son interlocuteur :

— La première est la mémoire, M. le baron ; votre courtoisie restera dans mon souvenir…

— J’en suis assuré, répondit le gentilhomme, aussi je complète ce souvenir par le nom d’un homme qui apprécie la vaillance dans tous les partis, et qui s’efforcera toujours d’éviter les inutiles exécutions. Rappelez-vous que je ne serai jamais l’ennemi de mes adversaires.

Et lentement :

— Je suis Alphonse-Marie-Louis de Lamartine, garde du corps du Roi, si notre cause triomphe. En ce cas, usez de moi si vous vous trouvez dans l’embarras.

C’était le poète qui, plus tard, devait écrire Jocelyn, que le hasard venait de jeter sur le chemin de l’enfant.

— Partez, mon jeune ami, ordonna-t-il. Le mot de passe que je confie à votre loyauté est : Roschkia (Russie).

Avec le soldat, Milhuitcent regagna la route ; son guide s’arrêta à la lisière du bois, et le jeune garçon marcha vers Saint-Dizier.

Les premières maisons étaient proches. Des factionnaires hélèrent bien le voyageur ; mais grâce au mot de passe, elles ne le retinrent pas.

Maintenant il était dans les rues étroites, sinueuses. De loin en loin des alignements de faisceaux, devant lesquels des sentinelles, engoncées dans un manteau de faction, se promenaient frappant le sol de la semelle pour se réchauffer.

Sauf ces soldats de service, tout semblait dormir dans la cité envahie.

Voici la Grande Rue.

Espérat s’y engage… Bientôt il parvient devant le logis Fraisous. Le portail, à la voûte arrondie, se dresse devant lui, encadré par les murs qui vont rejoindre les pavillons avancés.

Les ouvertures, fenêtres ou portes, sont closes. Aucune lumière. Est-ce que là aussi on dort ?

Et le gamin se souvient : derrière l’hôtel s’étend un jardin de quelques