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Avec violence le comte l’interrompit :

— Mirel a suivi son frère en me crachant au visage cette suprême insulte : Tout pour le roi ! Lui non plus n’est plus mon fils.

Cette fois, Napoléon demeura muet devant le vieux gentilhomme, qui avait vu s’évanouir en quelques heures toutes ses croyances, toutes ses affections. Il avait pitié, lui, l’Empereur, de ce royaliste sans roi, de ce père devant considérer comme morts ses enfants, soldats ou victimes des ennemis.

M. de Rochegaule, la tête basse, les épaules secouées par des tressaillements douloureux, gardait le silence, et son impérial interlocuteur n’osait troubler ses pénibles réflexions.

Mais bientôt le comte domina son trouble. Sa tête hautaine se redressa.

— Il me reste une mère, dit-il.

— Une mère, murmura Napoléon.

— Oui…, la France… ! c’est un soldat qui est venu vous trouver à Châlons ; prenez-le.

L’Empereur lui tendit la main :

— Non, c’est un capitaine… M. de Rochegaule, rendez-vous auprès de Marmont, je vous donne une compagnie… je sais qu’elle fera brillamment son devoir.

Puis doucement :

— Père, espérez… Demain nous entrerons à Saint-Dizier de vive force… et nous serons près du lieu où Mlle  de Rochegaule, où mon fidèle Marc Vidal, sont captifs.

— Ah ! Sire, fit lentement le comte, ému jusqu’aux moelles par cette promesse qui répondait au plus ardent de ses vœux…

Napoléon sourit.

— Vous avez dit, Sire…

— Oui… car vous avez ranimé mon cœur.

L’Empereur répliqua seulement :

— Rendez-vous auprès de Marmont, capitaine… Avant tout, il nous faudra prendre Saint-Dizier. Fondez toutes vos affections dans l’amour de la patrie.

— Cela est fait, Sire.

Et le gentilhomme prit la main étendue vers lui, la porta à ses lèvres, puis transfiguré :

— Pourquoi ne vous ai-je pas rencontré plus tôt ?… Rochegaule serait mort pour vous… Il n’aurait pas la honte de voir ses fils au service de l’invasion.