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L’Invincible partait. Dans le silence de son cabinet, il avait bien certainement préparé le coup de foudre qui anéantirait les cohortes ennemies. Dans les plaines de France, il renouvellerait les prodiges d’Austerlitz, de Friedland, d’Iéna.

Un enthousiasme patriotique faisait palpiter tous les cœurs à l’unisson.

Des vivats saluaient les estafettes, les officiers. Les républicains eux-mêmes, emportés par l’espoir général, oubliaient leurs rancunes et criaient comme les autres :

— Vive l’Empereur  !

Sentant bien qu’en ce jour, ce cri signifiait aussi :

— Vive la France !

Tout ragaillardis par ce spectacle, Marc et son compagnon, traversèrent la cour, se glissèrent dans l’escalier accédant au cabinet impérial et parvinrent au premier.

Mais là, l’officier de service les arrêta.

Napoléon s’était rendu chez l’Impératrice. On attendait son retour. Cambacérès, l’archichancelier, et plusieurs dignitaires se proposaient de lui soumettre diverses dispositions concertées depuis la veille.

— Venez, murmura Vidal à l’oreille de Milhuitcent.

Le gamin obéit et s’engagea, avec le capitaine, dans la galerie aux torchères de bronze doré, qui faisait face à l’antichambre, où naguère Espérat avait eu tant de peine à pénétrer.

— Où allons-nous ? demanda l’enfant.

— À la rencontre de l’Empereur. C’est le seul moyen de lui parler ce matin.

— Il se fâchera, peut-être.

— Non ; à toute heure, il est prêt à écouter ceux qu’il sait ses amis.

En dépit de l’affirmation, Espérat était ému. Son cœur sautait dans sa poitrine et le sang, affluant à ses tempes, remplissait son crâne d’un bourdonnement semblable au roulement continu des tambours.

Il lui semblait sacrilège de détourner Napoléon des graves occupations qui l’absorbaient alors.

En vain, il se répétait que Bobèche avait sans doute eu raison, que le mariage de Lucile avec Enrik Bilmsen, désiré par les souverains ennemis de l’Empereur, devait certainement être préjudiciable à ce dernier, mais vu l’impossibilité d’expliquer le pourquoi de l’énigme, le doute rentrait en vainqueur dans son esprit et son trouble augmentait.

Comme en un brouillard, il vit défiler des salons somptueux, des glaces, des meubles lourds et majestueux, il franchit des portes, des couloirs.