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L’HOMME SANS VISAGE
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— Je le crains, et alors ce sera la guerre.

J’eus une de ces exclamations patriotiques que l’on ne réprime par aucun raisonnement.

— Alors, pourquoi pas de suite ?

— Parce que dans quelques mois, la partie déjà fort belle pour nos amis et pour nous, le sera devenue davantage.

Puis, avec ce flegme admirable qui le caractérise, sir Lewis reprit :

— L’Allemagne sait cela comme nous. Aussi est-elle tiraillée par le désir et la crainte du conflit. Savez-vous ce qu’elle exige maintenant pour l’incident de Casablanca ?

— Les bandelettes qui recollent ma tête répondent pour moi.

— Alors je vous éclaire. La France a accepté de faire juger le différend par le tribunal arbitral de la Haye.

— Je sais cela.

— Eh bien, le gouvernement allemand exige que la France exprime auparavant ses regrets des voies de fait problématiques dont aurait été victime un employé du consulat à Casablanca.

La prétention teutonne me stupéfia.

Avoir un procès, cela arrive à tout le monde ; mais reconnaître que la partie adverse a raison avant de se présenter devant ses juges, cela ne s’est jamais vu.

Et la conclusion de mes réflexions fut cette phrase :

— En ce cas, la guerre est inévitable.

À ma grande surprise, mon interlocuteur nia de la tête.

— Non ?

— Non, parce que la France, sur le conseil ami de notre souverain…

Le capitaine salua avant de poursuivre :

— Va répondre diplomatiquement… Nous sommes certains qu’en gagnant du temps, on peut encore retarder l’échéance… Si l’Allemagne perdait l’assurance de posséder bientôt le document dont la publication affolerait les cerveaux d’outre-Rhin, elle se montrerait conciliante… Eh ! eh ! sir Max Trelam, vous avez appris à l’Université… je ne sais plus laquelle… que l’élan moral est un facteur de succès non négligeable.

Et sur cette plaisanterie de pince-sans-rire, il acheva :

— Deux personnages peuvent faire parvenir le document : le comte de Holsbein, bien trop surveillé pour réussir… et M. de Kœleritz, cet envoyé extraordinaire commercial accrédité auprès du gouvernement espagnol… Informez-vous ce soir de sa santé. Je crois que, d’ici à quelques jours, il ne sera pas en état de rendre à son pays le service secret que l’on espère de lui.

— Que prétendez-vous me faire supposer ?

— Cherchez, informez-vous… Et sur ce, je ne veux pas vous fatiguer davantage… Au revoir, sir Max Trelam. Croyez que j’ai la plus sincère estime pour votre caractère.

Il marchait vers la porte.

Une dernière question me monta aux lèvres.

— Et la marquise de Almaceda, vous la connaissez également ?

La « Tanagra » venait de se présenter impérieusement à ma pensée.

Pourquoi ?

Était-ce pas association d’idées puisque la personnalité de X 323 avait dominé tout l’entretien ?

Peut-être. En tout cas, la réponse de sir Lewis ne me renseigna pas du tout.

— Madame de Almaceda, fit-il… grand nom espagnol ; femme exquise ; grosse fortune.

Et ouvrant la porte, sans attendre que je fusse arrivé près de lui afin de prendre ce soin.

— Ne vous dérangez donc pas… Se faire reconduire par un malade est stupidement cruel… Vivez heureux, sir Max Trelam.

Il était sorti, évitant ainsi les interrogations nouvelles que je n’eusse pas manqué de lui adresser, au sujet de l’énigmatique marquise de Almaceda.