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L’HOMME SANS VISAGE
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Dans la profondeur de la nuit, une petite lueur se meut en mouvements rythmés.

M. de Holsbein, plus heureux que moi, peut se servir d’une lanterne, et il ne s’en fait pas faute.

C’est lui qui est là-bas.

Eh mais, c’est lui-même qui va m’éclairer… Le tout est de ne pas perdre de vue la lanterne de cet excellent homme… Un beau-père, Antigone de son gendre, quel sujet pour un statuaire !

J’ai retrouvé ma bonne humeur. Ce que c’est que de voir une petite flamme. Dire que nombre de personnes ne comprennent pas qu’à l’origine du monde, l’homme ait été adorateur du feu !

Je piquais maintenant droit sur la lueur, en évitant avec soin de faire le plus léger bruit susceptible de trahir ma présence. Mes chaussures de tennis se prêtaient admirablement à mes projets ; seulement, des murs du couloir, probablement très anciens, des pierrailles s’étaient détachées… Parfois, je les sentais rouler sous mes pieds, et je tremblais que le comte ne se demandât d’où provenaient ces sons non justifiés pour lui.

Selon toute apparence, le bruit qu’il produisait lui-même l’empêchait de prêter l’oreille aux autres. Et puis, il se croyait bien seul… Il ne devait donc pas se gêner. Il n’étouffait sûrement pas comme moi la résonance de ses pas.

Je songe à X 323 ; s’il arrive à présent au Puits du Maure, il pourra attendre longtemps. Bizarre la vie ! Celui qui surveille le comte est précisément Max Trelam, à qui l’on prétendait interdire ce plaisir.

Ce couloir obscur est insupportable. Il me semble que je le parcours depuis des heures. Et pourtant je suis certain de n’avoir pas franchi plus de cent vingt-cinq à cent cinquante mètres à la poursuite de cette lumière falote qui circule toujours devant moi.

Ah ! un roulement sourd au-dessus de ma tête. La galerie traverse le sous-sol d’une rue… Quelle surprise pour le conducteur du chariot dont les roues sonnent là-haut, si le sol cédait tout à coup, découvrant l’ornière souterraine où je me promène[1].

Ah ! par le pied fourchu ! la lumière qui me guide, semble s’élever jusqu’au plafond de la galerie, où elle disparaît.

Qu’est-ce à dire ?

Je précipite mon allure… Vingt-cinq pas plus loin, je bute dans la première marche d’un escalier…

Celui-là remonte à la surface de la terre…

En haut se découpe un rectangle, une sorte de trappe, accédant sans nul doute, dans un endroit qui n’est pas condamné aux ténèbres absolues, ainsi que le corridor du Puits du Maure.

Sans réfléchir, aiguillonné par la crainte de perdre la piste de M. de Holsbein, je monte aussi vite que je le puis.

Je jaillis de la trappe dans une vaste salle voûtée, où sont entassées des ferrailles héroïques, armures, cuirasses, lances, boucliers, robes de guerre de destriers.

Où suis-je donc ?

J’ai su plus tard que ce caveau fait partie des sous-sols du Musée de l’Armeria.

Il est la « resserre », où l’on entasse les objets qui ne peuvent trouver place dans les galeries et salles publiques du Musée.

Pour l’instant du reste, je n’ai pas le loisir de m’enquérir.

Un faisceau lumineux me frappe au visage. Je m’arrête ébloui. Et quand il m’est possible de voir enfin, j’aperçois le comte de Holsbein, debout en face de moi. Il me regarde ironiquement, balançant à la main la petite lanterne qui vient de me jouer un si mauvais tour.

La situation se gâte.

À tout hasard, je glisse une main dans la poche où dort mon revolver.

  1. Détails exacts. Le couloir en question fut découvert à l’occasion de travaux de soutènement de l’Armeria.