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L’HOMME SANS VISAGE

plus prodigues de mouvements, de manifestations extérieures inutiles, mais est-ce du flegme que de ne pas agiter les bras, la tête et le corps comme un convulsionnaire ou comme un vieux télégraphe Chappe ?

Je fus très agacé pendant le déjeuner. Je trépidais sur ma chaise absolument comme si elle eût été un « isolateur » chargé d’électricité à haute tension.

Je m’aperçois que ma comparaison est inconvenable, car elle suppose que je suis entré en… rapport avec la fée électricité en m’asseyant dessus… Ce n’est point là ce que je voulais exprimer. Je respecte cette fée à l’égal des plus grandes dames… et puis, vous la connaissez tous… s’asseoir sur pareille lady équivaudrait à se poser sur une pelote d’épingles… Je respecte également trop mon individu pour le soumettre à si piquant traitement.

Mais je connaissais le Puits du Maure.

À quel parti m’arrêterais-je ?

Me forcerais-je au courage d’attendre la nuit venue, pour gagner la Taberna Camoëns et l’enclos mystérieux, dans lequel je m’aposterais pour surprendre X 323 ?

Ou bien, m’offrirais-je la satisfaction d’aller, dès mon repas terminé, opérer une reconnaissance du but de mon expédition nocturne.

Ma gourmandise de savoir me poussait à la seconde méthode.

Ma raison m’en écartait.

Il convenait d’éviter une démarche inconsidérée, susceptible d’indiquer à mon ami X 323 que j’avais retrouvé sa piste.

Avec ce diable d’homme, il fallait s’attendre à tout, et je ne mettais pas en doute qu’il ne fût aussitôt informé de ma présence au Puits du Maure.

Bien. Écoutons la Raison. Je n’irai point.

Oui, mais alors à quoi occuperai-je l’interminabilité de mon après-midi ?

Je pouvais m’occuper une heure, grâce à une dépêche du Times, que l’on m’avait remise à mon arrivée. Le « patron » me mandait que l’on attendait ma copie avec impatience, la situation politique s’embrouillant de jour en jour.

« La pièce que vous savez, disait-il, « apparaît de plus en plus comme l’élément capital de l’affaire. »

Je ferais une réponse sibylline… certain de l’importance de la pièce, que je savais n’être point exagérée ; mais tenu au silence par loyalisme ; je n’ignorais plus rien, et, dans un avenir rapproché, demain peut-être, je serais relevé de mon mutisme ; je lancerais sur les fils et sans-fils, des révélations sensationnelles, qui feraient tirer le Times à des millions d’exemplaires.

Le patron serait ravi. Je porterais moi-même ma dépêche au Télégrafo Central.

Oui, mais ensuite, ensuite, comment aurais-je le courage d’attendre jusqu’à la nuit pour me mettre en campagne ?

Agir est un plaisir… La chose horripilante est d’assister, l’arme au pied, au lent défilé des heures.

Sur l’honneur, j’étais à cent lieues de penser que la brune soubrette Concepcion allait résoudre le problème de la plus agréable façon.

Cependant, ce fut ainsi.

Je me levais lentement… alors que l’on n’a à effectuer, en un temps donné, qu’un nombre limité d’actes, il est de bonne mathématique de se mouvoir avec le minimum de vitesse, ce qui conduit plus loin dans le temps.

— Pour le señor Max Trelam sans doute, fit derrière moi une voix interrogative ?

Je regardai le possesseur de l’organe questionneur. C’était un groom de l’hôtel qui me présentait une lettre.

— Si elle porte mon nom, c’est qu’elle est sûrement, et non pas sans doute, pour moi.

Le galopin secoua la tête :

— Elle n’indique pas le nom, señor… Voyez.

La suscription m’apparut en effet sans nom.

« Al señor Inglese », avait-on tracé sur l’enveloppe.