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L’HOMME SANS VISAGE
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torchères de bronze rouge et argent, démontrant que le goût du faste était plus développé que le sens artistique, chez les organisateurs de la décoration.

Des sortes de suisses à la livrée rouge et or, hallebarde au poing, épée en verrouil, se tenaient sur les degrés d’un escalier de marbre, accédant aux salons. Ces costumes ne juraient pas trop avec l’ambiance. La Casa Avreda est en effet une ancienne résidence monastique, dont les voûtes, couloirs, salles, etc., ont conservé un cachet original, tenant à la fois du cloître et de la résidence mondaine.

J’étais dans la place, dans cette maison où je devais rencontrer sir Lewis Markham qui, je me le promettais bien, non seulement me présenterait au comte de Holsbein, mon hôte, mais encore me donnerait quelques explications que je jugeais indispensables.

Car, enfin, je ne voulais pas continuer à m’agiter dans Madrid, comme une mouche dans une bouteille. Il fallait que, ce soir même, je fusse mis au courant des raisons, jusqu’ici inconnues, qui avaient décidé la direction du Times à m’envoyer en Espagne.

Sapristi. Je me savais chargé d’envoyer à mon cher Times, des dépêches sensationnelles et je n’entrevoyais même pas de quoi il y pourrait être question.

Je pense que quiconque a fait du reportage, grand ou petit, comprend l’énervement qui me tenait.

Je m’informai. Lewis Markham n’était point encore arrivé. Que faire en l’attendant ? Bah ! opérer une reconnaissance de la demeure où j’aurais peut-être à agir. Sur cette réflexion, je me mis à parcourir les salles ouvertes aux invités, je complétai ainsi, dans une certaine mesure, l’étude du palais que j’avais examiné de l’extérieur, durant l’après-midi même.

Connaître les aîtres, cela est pour les trois quarts dans le succès d’une entreprise. C’est par des détails d’observation, infimes en apparence, que l’on parvient à vaincre les obstacles.

Si mes confrères en journalisme se pénétraient d’abord de la disposition des lieux où ils doivent exercer leurs facultés professionnelles, leur tâche, ardue, souvent périlleuse, s’en trouverait bien simplifiée.

Combien de missions ai-je réussies uniquement parce que, une porte se fermant à ma curiosité littéraire, je savais par quelle autre je pourrais rentrer dans la place.

J’avais déjà constaté, dans la journée, que les bâtiments très étendus de la Casa Avreda se composaient, pour une partie, des constructions occupées naguère par un couvent, dont les titulaires avaient émigré à la suite de démêlés avec la Couronne, et pour le surplus, de corps de logis ajoutés et édifiés dans le style du XVIIe siècle. La façade principale bordait la rue San Geronimo, continuée par une haute muraille au-dessus de laquelle se dressaient des arbres séculaires, séparant complètement par l’obstacle de leur feuillage, la Casa Avreda du palais voisin de Villa Hermosa.

Ces arbres faisaient partie du vaste jardin, le Parc dit-on à Madrid, qui entoure les façades intérieures de la Casa Avreda, et s’étend jusqu’à la rue de Zorilla (Calle de Zorilla), parallèle à la rue de San Geronimo.

De la terrasse dominant le jardin, terrasse à laquelle on accédait par de larges portes-fenêtres s’ouvrant sur le salon principal, j’aperçus le haut d’un kiosque polychrome. Je devinai que c’était le kiosque de bois ajouré, dont la terrasse dominait la rue de Zorilla. Déjà dans mon inspection diurne, cet édicule avait attiré mon attention ainsi que la petite porte, de service sans doute, percée dans la muraille nue séparant la propriété de la rue Zorilla.

Seulement, après un tour rapide dans les salles où il m’était permis de circuler, je fus assuré que la « réception », c’est-à-dire les pièces destinées à recevoir, occupait une portion relativement minime de la superficie de l’habitation. Donc, la partie réservée aux seuls habitants, celle qui me de-