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L’AÉROPLANE-FANTÔME

Cela dure ; dure ; les heures sont longues sous cette voûte de ténèbres, où le miroitement de la lanterne sur l’onde qui glisse noire, huileuse, jette une impression angoissante de plus.

Ce sont des catacombes dont le sol est mobile. Ce sol fuit sous le regard, faisant naître une hallucination de vertige. Il semble que l’eau attire, entraîne ; celui qui voudrait persister à fixer des yeux cette coulée liquide finirait certainement par obéir à l’inexorable attirance.

Enfin, l’on a débouché dans une sorte d’étang souterrain, formé par un écartement des parois. Là, deux crocs en croix, gravés dans le roc, indiquent clairement un lieu de halte.

Si pressé que soit Von Karch, il comprend que ses hommes ont besoin de repos. On campera quelques heures sur la berge étroite qui borde le courant. Des factionnaires veilleront à tour de rôle pour écarter les alligators, lesquels décidément pullulent dans cette étrange et terrifiante rivière.

L’espion s’est assis à l’écart. Il songe. Il ressasse la pensée qui ne le quitte plus depuis Progreso. François de l’Étoile est sur sa trace. Il l’a rejoint. Il lui a enlevé Édith. Que fera-t-il plus tard ?

Et comme l’a prévu l’ingénieur, un raisonnement logique devant fatalement s’imposer à tous les cerveaux capables de raisonner, il se dit qu’il doit prendre soin de l’existence de ses prisonniers. Par eux, en effet, il peut imposer sa volonté à la jeune fille. Et imposer sa volonté à une fiancée, n’est-ce pas avoir barre sur le futur ?

Cela l’ennuie de faire grâce. Il lui eût été si doux de répondre au geste de François par un autre précipitant dans la mort lord Gédéon, ses fils Péterpaul et Jim !

Huit heures de sommeil ont rendu force et courage à tous. On se rembarque. La route est reprise et, vers la fin de la seconde journée, les navigateurs souterrains débouchent dans le Cenote d’Ah-Tun.

Au-dessus de l’ouverture supérieure du Cenote la lune brille au ciel. Le ciel, au lieu de la voûte de pierre sous laquelle on vit depuis quarante-huit heures. C’est une joie délirante pour les bandits.

Les captifs eux-mêmes ont le sentiment de respirer plus facilement.

Ces derniers, sur l’ordre de l’espion, gravissent une échelle de corde, dont les crampons de fer ont été fichés à la crête du massif de granit surplombant de dix mètres la surface des eaux. Ils entendent Von Karch dire d’un ton rude :

— Les prisonniers garderont les couvertures ; ils camperont ici jusqu’à nouvel avis.