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L’AÉROPLANE-FANTÔME

prête à s’évanouir. Ce nom de sœur, appliqué à elle par la douce victime de la cruauté de son père, lui avait causé une émotion presque insoutenable.

— Qu’avez-vous donc ? murmura la fille de lord Fairtime.

Les yeux baissés, dans l’attitude d’une coupable, Margarèthe répondit :

— La bonté est en vous, qui me permettez de me dévouer, qui me plaignez, moi qui ai tant à me faire pardonner.

— L’ange gardien est toujours en opposition avec Satan, dit doucement Édith, et, citant la stance du poète Milton :

Le soleil cache le deuil du vide ;
Et des enfers, les noirs abîmes
Sont masqués par le doux écran
De l’aile d’un papillon blanc.

Elle tendit la main à son interlocutrice. Celle-ci la saisit, la porta dévotieusement à ses lèvres, murmurant avec une ferveur passionnée :

— Vous êtes bonne et je vous aime ! Ma vie est à vous !

Soudain, la fille de l’espion sentit que les doigts de sa compagne serraient brusquement les siens, elle la regarda. Elle vit les yeux de la jeune fille fixés sur une petite quarteronne arrêtée au bord du quai.

C’était une de ces marchandes ambulantes qui pullulent sur les quais de la Havane, qui vont d’un pas agile au long des maisons peintes de teintes claires, et offrent à tout venant fruits, cigares, journaux, etc.

Celle-ci se livrait au commerce des feuilles quotidiennes, ainsi qu’en faisaient foi les imprimés rangés dans la petite corbeille composant le magasin portatif de la jeune industrielle.

Seulement la mulâtresse regardait obstinément Édith. Que signifiait cela ? L’attention de cette petite n’allait-elle pas éveiller la défiance des gardiens ? Instinctivement Margarèthe chercha des yeux Siemens et Pétunig.

Elle les aperçut, appuyés aux montants de la passerelle, le géant écoutant d’un air hébété le facétieux Pétunig qui riait aux larmes.

Évidemment, les gardiens, rassurés par l’attitude des deux passagères, se relâchaient de leur surveillance.

Margarèthe les considérait ; elle perçut soudain comme un froissement de papier tout près d’elle. Ses regards se reportèrent sur Édith ; la jeune Anglaise tenait sur ses genoux, un journal plié.

Et la petite mulâtresse, loin déjà, offrait d’un air dégagé ses feuilles aux promeneurs. Son geste interrogeant Édith, celle-ci murmura :