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LE LIT DE DIAMANTS.

L’hypocrisie évidente du drôle exaspéra Péterpaul.

— Eh ! s’écria-t-il rudement, ma sœur ne vous a que trop entendu aujourd’hui !

— Aussi n’ai-je voulu continuer l’entretien qu’au milieu de vous, assuré que vous soutiendrez son courage, que vous la convaincrez de la nécessité de traiter à fond la question.

— Oh ! père, supplie, Margarèthe dont le visage exprimait une indicible épouvante.

Il ne la regarda même pas. À cet être taré, la faiblesse, ainsi dénommait-il l’attitude de la jeune femme, ne causait qu’une sorte de pitié. Sa fille, née de son sang, pouvait sacrifier aux ridicules sentiments du vulgaire. Elle n’était donc pas cuirassée comme lui-même du triple airain que chante le poète. Elle se montrait fragile, hésitante, sensible, ainsi que la fille d’un mince bourgeois. Lui, qui avait tenu en échec un gouvernement tout entier, dont les combinaisons avaient dominé le monde, lui, un tigre, il avait lancé dans la vie un agneau bêlant !

Sa vanité de coquin en souffrait, et sa souffrance même l’éloignait à jamais de Margarèthe. Il reprit cependant :

— Je passe tout de suite au problème que je suis venu élucider ici. Son énoncé vous persuadera de l’intérêt de ma visite. Vous êtes prisonniers, vous tenez une part du secret de ma vie. Votre existence donc est précaire, car je suis, moi, de ceux qui suppriment les obstacles. Eh bien, malgré cela, je vous juge loyaux. Engagez-moi votre parole de ne vous souvenir jamais de ce que vous savez, et moyennant une condition, je vous remets en liberté, je vous rends à la joie de vivre dans la fortune.

La condition doit être inacceptable, jeta dédaigneusement Péterpaul.

— Voilà bien la présomption de la jeunesse, riposta l’Allemand. Parbleu ! je serais enchaîné et vous libres, vous auriez raison. Mais c’est précisément tout le contraire ; ce qui fait tomber la première syllabe du qualificatif que vous avez employé, et vous amènera à prononcer dans un instant acceptable.

Le sang-froid de Von Karch désarçonna ses adversaires. Il s’exprimait avec cette pédanterie grave, dont les étudiants allemands s’imprègnent dans leurs universités et dont ils ne se débarrassent jamais complètement. Le silence régnant, l’espion en profita pour reprendre le fil de son discours :

— Voilà donc ce que je veux. Je m’excuse du mot un peu rude ; mais je l’emploie parce que je souhaite éviter toute ambiguité ; je veux, c’est-à-dire que j’exprime une résolution irrévocable.