Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.
306
L’AÉROPLANE-FANTÔME

Comme la veille, une fois les ténèbres descendues sur la terre, le steam quitta la rive et s’élança dans le courant du fleuve.

Du fleuve, disons-nous, car, à présent, on avait quitté la Havel, et l’hélice faisait écumer les eaux jaunâtres de l’Elbe, cette grande route aquatique du commerce allemand, qui baigne, à l’entrée de son estuaire, le port de Hambourg, lequel par son tonnage, occupe le troisième rang parmi les ports du monde, les deux premiers éteint tenus par les cités anglaises de Londres et de Liverpool.

Vers dix heures du soir, la ligne des feux du port de Hambourg borda la rive droite du fleuve. Le gamin, qui observait ce paysage, distingua sur le pont du vapeur deux formes humaines s’accoudant au bastingage à deux mètres à peine de sa cachette.

Il tressaillit. Il avait reconnu Von Karch et sa fille.

L’espion causait paisiblement, bien loin de penser qu’un des ennemis, qu’il croyait avoir dépistés, se trouvait si rapproché de lui. Il désignait les quartiers du vaste entrepôt du commerce allemand ; nommait, à mesure que le vapeur les dépassait, les bassins du port : Ober, Baaken, Magdebourg, Gratsbrook, Sandthor, Bidden, Nieder, etc. Déjà la riche cité restait en arrière, quand Pétunig se rapprocha des causeurs.

— Herr, fit-il respectueusement, avez-vous lu les journaux aujourd’hui ?

— Ma foi non, ces noircisseurs de papier me font horreur, depuis qu’ils ont prodigué la réclame à notre ennemi. Pourquoi me demandes-tu cela ?

— Parce qu’ils s’occupent encore du même sujet, et que, je m’abuse peut-être, il me semble que la fin de l’article vous intéressera.

Ce disant, le bandit tendait à son chef un exemplaire du National Zeitung, contenant le récit de l’incendie du blockhaus de Babelsberg et de la tache de sang laissée sur la muraille du palais impérial par « l’homme volant ».

Von Karch se rapprocha de la lanterne de l’habitacle et déploya la feuille dans le cercle lumineux projeté par le réflecteur. Margarèthe lisait par-dessus son épaule.

— Ah ! s’exclama-t-elle, cet homme volant blessé, tué peut-être dans le palais de l’Empereur par le coup de feu d’une sentinelle, si c’était…

— C’est Miss Veuve, sois-en sûr, affirma l’espion.

Tous deux s’arrêtèrent net. Il leur avait semblé qu’un cri étouffé avait gémi dans la nuit. Mais après être demeuré un instant aux écoutes, Von Karch reprit :

— L’homme volant est évidemment Miss Veuve.

— Croyez, père, que j’en suis bien heureuse.