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MISS VEUVE.

Il ne tire pas. L’homme n’a marqué aucune crainte. Il s’est incliné avec une respectueuse déférence. Par signes, il invite l’Empereur à ouvrir la croisée. Sa placidité, l’aisance de ses mouvements sont tels, que le monarque éprouve un vague sentiment d’admiration. Il se confie :

— Étrange. Par le Grand Monsieur (locution allemande qui signifie Dieu), c’est certainement un équilibriste. Il se trémousse comme s’il ne craignait pas une chute mortelle dans la cour.

L’homme répète ses gestes. Et comme l’Empereur est brave, il n’hésite pas. Il tourne l’espagnolette ciselée, accédant à la requête muette de l’inconnu, puis il recule de quelques pas, le revolver braqué sur celui qui se présente de façon aussi inusitée.

Une certaine défiance est permise en face de procédés aussi peu conformes aux règles de l’étiquette courante.

Du reste, le visiteur n’a pas l’air de s’occuper de l’arme menaçante. Il a un mouvement singulier. On croirait qu’il détache un crochet de sa ceinture. Puis il saute légèrement sur le plancher, se courbe devant le monarque en une révérence dévotieuse, et d’un ton où l’audace des mots est tempérée par le respect évident :

— Sire, daignez oublier un instant que vous êtes le Maître de l’Allemagne. Souvenez-vous seulement que vous êtes un homme de cœur ayant en face de lui un homme de cœur, que d’aucune considéreraient comme un naïf parce qu’il a cru fermement qu’en faisant appel à la noblesse de votre esprit, à votre caractère chevaleresque, il pouvait sans danger venir vous supplier de lui faire justice.

Cette entrée en matière a bouleversé l’interlocuteur impérial de l’inconnu. Il balbutie, d’un accent décelant le trouble de ses pensées :

— Qui donc êtes-vous, vous qui venez si audacieusement réclamer ma justice ?

L’homme se courbe. Il paraît vouloir exagérer le respect. Puis il se redresse, et son regard clair rivé sur celui de l’Empereur, il prononce ces mots :

— Sire, je suis « Miss Veuve ».

C’est un silence impressionnant qui suit cette déclaration. Un frisson a parcouru le corps de l’Empereur.

Miss Veuve ! Quoi, il aurait devant lui le personnage qui l’a défié, qui a réduit en cendres l’aéroplane militaire allemand, qui a jeté dans la presse mondiale le plus terrible réquisitoire prononcé contre les procédés de l’espionnage allemand.