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L’AÉROPLANE-FANTÔME

d’un enchanteur, d’un être surhumain. Et puis, cet homme ne commandait-il pas à l’étrange voiture qui roulait dans l’air, soutenue par une force que l’instruction rudimentaire de Vaniski ne lui permettait pas d’expliquer par les moyens naturels.

— Oui, le choix. Écoute. Il y a trois Alsaces qui pleurent sous le joug de l’Allemagne : l’Alsace française, la province polonaise de Posen, et puis les provinces danoises de Schleswig et de Holstein, arrachées par la Prusse au Danemark, en 1866. Les Danois, eux aussi, en dépit des persécutions, sont restés fidèles à leur tradition, à leur langue. Ils honoreront en toi un frère de douleur. Je te conduirai en Danemark, près de la frontière des provinces annexées par l’Allemagne. Tu pourras travailler avec ceux qui sont restés libres, en faveur de ceux qui sont captifs.

— Mais vivre ? murmura timidement Vaniski.

— J’y pourvoirai, n’aie crainte. Tu garderas auprès de toi tes fillettes et tu en feras d’honnêtes femmes. Cela te convient-il ?

Pour toute réponse, le paysan s’agenouilla et baisa dévotieusement la main du personnage mystérieux qui, oubliant un instant ses propres douleurs, s’évertuait à dissiper celles des autres.

Mais comme le docteur s’efforçait de lui faire quitter cette posture adorante, un hululement aux modulations étranges s’éleva dans la campagne. Vaniski se leva d’un bond, la figure contractée par l’angoisse.

— Le professeur Berski, fit-il d’une voix étranglée.

Son interlocuteur le regarda surpris.

— Qu’est le professeur Berski ? Un ennemi ?

— Lui, oh ! le digne homme.

— Alors qu’est-il ?

— Un professeur au Gymnase (Collège) Frédéric-Guillaume, à Posen ; un dévoué patriote polonais. Deux fois la semaine, les jours où il le peut, il parcourt les dix kilomètres qui séparent ma masure de la ville, et cela pour venir instruire mes petites, pour leur apprendre à aimer notre Pologne. Vous pensez bien que je ne puis payer tant de bonté ; mais je suis reconnaissant. Le professeur, je l’aime comme un dieu, et moi, moi qui voudrais donner ma vie pour lui, je vais peut-être causer sa perte.

Listcheü l’interrogeait du regard.

— Vous ne comprenez pas ; je suis un suspect, sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Des espions de leur infernale police rôdent bien sûr autour de moi ; si l’on prend le professeur en ma société, ce sera la ruine, la misère pour lui. Ils ne badinent pas, ces gueux de policiers. On le chassera du