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L’AÉROPLANE-FANTÔME

— Et puis, ajouta Tril, quand vous aurez réhabilité la mémoire de François de l’Étoile…

Le gamin n’acheva pas. Le docteur Listcheü s’était retourné, abandonnant un instant l’entrecroisement des fils de métal, et saisissant l’Américain par les épaules :

— Ah ! mon pauvre Tril. L’honneur de François m’intéressait naguère, parce que cet honneur représentait un avenir. À présent, s’il n’y avait que lui… Je vis pour venger les morts, les victimes de Fairtime-Castle que les assassins ont broyées parmi les décombres. Dans leur ironie cruelle, ils se sont vantés du crime, ils l’ont signé Miss Veuve. Ainsi ils se sont trahis. Ceux qui ont frappé Édith, ses frères, son noble père, sont ceux qui ont poursuivi François.

Qui est cet homme ? Le vengeur suscité. Jud Allan, du fond de l’Amérique, a jeté sur les ondes du sans fil, l’ordre à ses jeunes amis d’obéir à celui qui se chargeait de la pénible mission.

Ils ont obéi. À présent, ils font plus. Ils aiment la haute intelligence, la douleur sans bornes qu’ils ont reconnues en cet homme.

Ils se sont portés vers la lucarne, à travers laquelle on distingue les épaules du mécanicien courbé sur son volant.

Ils se refusent même à regarder le docteur Listcheü, et Suzan traduit l’inconsciente pensée des adolescents, en murmurant :

— S’il pouvait pleurer, les larmes soulagent. Je me souviens, dans le temps, quand j’étais seule et triste.

Tout le poème de l’enfance abandonnée est dans ces simples mots. Et tous quatre, collés à la vitre, affectent de s’intéresser au paysage qui défile de chaque côté de l’automobile.

Le véhicule roulait à bonne allure. L’avenue était bordée par des buissons épais, annonçant le voisinage de la lisière de la forêt.

C’est en effet vers le bornage, où l’air et le soleil circulent sans entraves, que la végétation se développe avec le plus de vigueur. L’avenue marquait là des sinuosités nombreuses, car elle dévalait une pente assez rapide.

Soudain l’automobile se trouva hors des arbres, et le watman dut précipitamment manœuvrer le frein. Il venait de déboucher au beau milieu d’un fort détachement de gendarmes.

Deux escadrons étaient campés, encadrant la route, les chevaux entravés à l’alignement, les mousquetons en faisceaux ; et un hauptmann (capitaine) se tenait debout au centre de la chaussée, les jambes écartées, la face défiante, les mains croisées derrière le dos.