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En épousant Sophie, Casimir avait son plan. Il en avait même deux. Pour le présent et le proche avenir, le travail et le repos de cette toujours laborieuse épouse l’assuraient sans tracas, sans débours, contre les exigences de l’estomac et de certaines parties avoisinantes. Pour l’avenir plus lointain, quand Sophie serait usée, tuée par le travail, il avait remarqué que la petite Zouzoune, alors âgée de quinze ans, promettait de devenir avant peu bougrement jolie, donc négociable au prix fort, si un homme intelligent ne lui permettait pas de donner à quelque purotin ce qui pouvait se vendre très cher.

C’est pourquoi Casimir veillait, avec une pudibonderie insolite et ostentatoire, sur la précieuse vertu de Zouzoune. Il filait sournoisement la fillette, par les rues, lui tombant soudain sur le poil, la main pleine de calottes, si quelque godelureau faisait mine de s’approcher d’elle. Sortant du lit conjugal, dont le sommier asthmatique et bruyant venait de révéler à Zouzoune, couchée dans la soupente voisine, que maman avait aujourd’hui ce qu’il lui fallait, il adressait à la petite d’interminables et ennuyeux sermons, pour lui vanter les charmes ineffables de la continence et de la pureté. Avec des trémolos dans la voix, il la suppliait de ne pas déshonorer, par son inconduite, sa pauvre mère et son malheureux père adoptif. Puis, tandis que les deux femmes se rendaient à leur dure et fastidieuse besogne, il allait transformer en liquides variés, au petit bar du coin, quelques francs chapardés cette nuit dans la poche de Sophie.

En tout cela, du reste, Casimir Bourbeux s’avérait psychologue de bien piètre envergure. Il ignorait, cet imbécile, qu’il n’est pas de plus puissant aphrodisiaque, de pire excitant à l’amour que la défense d’aimer. Si Zouzoune n’avait pas glissé encore sur la pente du tempérament, savonnée par l’exemple de l’entourage, c’est que son désir précieux, raffiné, passait toujours par-dessus les têtes triviales d’amoureux trop communs, trop vulgaires à son gré. Du moment où elle sentit que Casimir prétendait, intolérable tyrannie, l’empêcher de faire comme tout le monde, les prétentions de la petite, sans qu’elle s’en rendît compte, s’abaissèrent de plusieurs crans.

Enfin, un jour que Sosthène Flambard, le coiffeur pour