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d’abord la signature… Gaston !… Il ose lui écrire, le monstre ! Avec une rapidité dont elle ne se fût pas crue capable, elle avale le texte, devinant les mots, les phrases, plutôt qu’elle ne les lit :

Ma Zouzoune adorée,

Il m’a été impossible de te donner plus tôt de mes nouvelles, mon père m’ayant soudain emmené à Londres, où il m’a tenu sous une étroite surveillance, pour m’empêcher de correspondre avec toi. Car je lui avais demandé l’autorisation de t’épouser. Mais j’ai un très grand malheur à t’apprendre, ma chérie : c’est que je suis le fils unique d’un gros commerçant plusieurs fois millionnaire, et non un petit employé sans le sou, comme je te l’avais dit afin d’être bien sûr que tu m’aimerais pour moi-même.

Mon père a eu l’atroce ironie de me répondre : « Je veux bien que tu épouses une petite couturière, à condition qu’elle ait un million de dot. » Puis il m’a emmené dare-dare, s’imaginant, l’insensé ! que je t’oublierais bientôt. Il vient enfin de repartir pour Paris, et je puis te donner de mes nouvelles.

Je t’aime plus fort que jamais, ma Zouzoune chérie, et je jure de n’être à nulle autre qu’à toi. S’il le faut, j’attendrai ma majorité pour faire à mon tyran de père des sommations respectueuses. Mais tu seras à moi, ma Zouzoune, si tu veux bien attendre, comme je t’en supplie, le retour du pauvre exilé qui ne songe qu’à toi.

Courage, patience et fidélité ! telle doit être notre devise. Écris-moi par retour du courrier, à l’adresse ci-dessous, pour me dire que tu m’aimes toujours, que tu n’aimes que moi, et qu’il est donc inutile que je me jette dans la Tamise, comme je ne manquerais pas de le faire, si j’apprenais que ton cher petit cœur n’est plus à moi.

Je t’adore à jamais !

Gaston.

Magnifiquement sincère, Zouzoune pleurniche :

— Le chéri !… Je le savais bien, je n’en ai jamais douté un seul instant, que mon Gaston m’aimait toujours.

Puis, ayant galopé jusqu’au plus proche bureau de poste, elle expédie ce merveilleux, cet ébouriffant télégramme :

« J’ai un million de dot, mon chéri. Marions-nous bien vite ! »