Page:Ista - Rosiere malgre elle, 1928.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 44 —

verre à ses lèvres, cet homme prévoyant s’efforçait d’établir le compte fabuleux des apéritifs qu’on peut se payer avec mille balles. Fort vainement, du reste, des calculs aussi ardus aussi vastes, étant par trop au-dessus de ses moyens.

Pas très bien dessoûlé de la veille, il était déjà reparti pour une nouvelle et superbe cuite, quand les deux femmes reparurent sur le trottoir d’en face, l’appelant avec de grands gestes éperdus.

— Combien ? hurle Casimir en traversant la chaussée au quintuple galop.

Mais il faut toujours que ces sacrées femmes mêlent d’absurdes histoires de sentiment aux questions les plus sérieuses. Au lieu de lâcher, sans lantiponnage, la seule réponse qui importât : un simple chiffre, elles s’empressèrent de débiter, toutes deux en même temps, volubiles et pathétiques, des tas de ragots oiseux, superflus, sans le moindre rapport avec le seul fait essentiel :

— C’est bien lui !… C’est bien le père de Zouzoune !

— Il est resté longtemps dans la purée, a dit le notaire.

— Combien ? interrompit Casimir.

— Le notaire a pas dit combien d’années… Mais il a fini par gagner des sous, pendant la guerre, comme tant d’autres.

— Combien, que j’vous dis !

— Combien d’ gens qui s’ont enrichi pendant la guerre ?… Tu sais bien qu’y en a des tas, voyons !… Il était marié, il avait un fils légitime.

— Combien, nom d’une cuite !

— Un seul, qu’on t’dit !… Un seul fils, et y n’pensait plus à l’enfant de l’amour, comme de bien entendu… Y s’a mis à faire de l’auto.

— Combien ?

— Ah ! le notaire a pas dit s’il avait une ou plusieurs voitures… Mais c’est bien assez d’une pour plus en avoir du tout, puisqu’y s’a fait amocher dans un accident, où qu’sa femme et son fils ont été tué nets… Lui, il était gravement blessé.

— Combien, nom de Dieu !

— Des tas de blessures, qu’il avait… j’sais pas combien au juste… Comme y s’remettait pas, qu’y s’voyait en train