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par un beau dimanche

et la vieille Célina, ma servante, est un cordon-bleu bien plus novice encore que madame Pocinet. Elle s’obstine, quant au degré de cuisson qu’il convient d’accorder aux viandes rouges ou blanches, à appliquer des idées très personnelles, très originales, mais en contradiction flagrante avec les principes généralement reçus. Cela n’a pas grande importance pour un vieillard qui vit surtout d’œufs et de laitage, mais je ne vous vois pas, mon cher Walthère, mangeant la cuisine de Célina, et je viens de vous offrir, croyez-le bien, le moins mauvais repas qui se pût trouver dans le pays.

— Fichu pays ! gronda M. Hougnot. Manger est le premier des besoins, que diable ! Et je ne comprends pas les gens qui se nourrissent mal.

— Croyez-vous réellement que beaucoup de personnes se nourrissent bien ? demanda le docteur. Je vois les gens de la ville, à moins que le manque d’argent ne les en empêche, se gorger de viandes, de mets épicés, de sucre et d’alcool bien au delà de leurs besoins, traiter leur corps comme un poêle qu’on surchauffe avec du goudron, du pétrole, au risque de le faire éclater. Je vois nos paysans ardennais, à peu près végétariens encore, s’empiffrer de pommes de terre et de pain, sans discrétion, sans mesure, et se vouer ainsi à l’inéluctable dilatation d’estomac, la maladie que j’ai le plus souvent à traiter ici, et toujours, du reste, quand il est beaucoup trop tard. Tous, au surplus, citadins et villageois, mastiquent insuffisamment et avalent beaucoup trop vite… Non, il n’y a guère de personnes qui se nourrissent bien… Pour en revenir à ma vieille servante, je dois vous avouer encore que je n’ai pas cru pouvoir l’obliger à rester chez moi aujourd’hui, malgré votre visité : une de ses nièces, qu’elle aime beaucoup, est assez gravement malade, à deux lieues d’ici, et a de-