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par un beau dimanche

Et il se trouve encore des gens pour oser prétendre que les paysans n’entendent rien aux joies intellectuelles !

S’étant usé le corps et l’âme à ce joli petit jeu, les quatre aînés moururent en quelques années, épuisés par les privations continues, le forcené labeur et l’irritante obsession de l’idée fixe. Chacun d’eux s’en alla sans avoir goûté un instant de repos, de quiétude, emportant le suprême et cuisant regret de ne pas rester le dernier, celui qui aurait la joie exquise de posséder à lui seul tout le magot, et le bonheur merveilleux de n’en jamais rien faire que de le grossir encore et toujours, tant qu’il lui resterait un souffle de vie.

Séraphie, la cadette et la dernière survivante, crut pendant quelques heures qu’elle allait goûter enfin cette jouissance sans mélange. Sur quoi les ennuis l’assaillirent aussitôt, drus comme grêlons par une giboulée d’avril. Car elle avait toujours été la faible tête de la famille, dure à l’ouvrage et âpre au gain tout autant que les autres, mais en bonne et courageuse servante plutôt qu’en maîtresse femme, étant fort incapable de gérer, de commander, de prévoir, de combiner, besognes délicates dont les autres s’étaient toujours chargés pour elle.

Obligée, du jour au lendemain, de parer aux multiples et inextricables difficultés du trafic usuraire, de la ferme, de l’auberge, du commerce ; n’y voyant goutte dans les mystérieuses complications d’une comptabilité volontairement embrouillée, dont le grand livre se tenait à l’aide d’encoches taillées au couteau dans des baguettes de coudrier, le journal grâce à d’innombrables bâtons tracés à la craie derrière tous les vantaux de portes, Séraphie comprit l’impossibilité absolue de se tirer d’affaire toute seule.