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par un beau dimanche

que vous voyez là-bas. Il s’est enrichi dans l’élevage de la gent porcine, ayant été le premier, en cette contrée plutôt rebelle aux innovations, à renier le préjugé sacro-saint qui voulait que le compagnon de Saint Antoine vécût dans l’ordure et la fange. Jusqu’alors, tous les cochons de ce pays avaient passé leur vie entière, du jour de la naissance à celui de l’égorgement, dans des bauges infectes, sans air et sans lumière, ne disposant même pas, bien souvent, d’assez de place pour faire trois pas ou se vautrer à l’aise. Jean Brisebois, qui a vu du pays dans sa jeunesse, adopta un système plus logique et plus sain. Ses gorets vont au pré tous les jours, respirent de l’air pur, prennent de l’exercice. Ils sont décrottés, lavés, étrillés avec le plus grand soin, s’en portent mieux, donnent de meilleure viande, et rapportent beaucoup d’argent à leur propriétaire. Je dois ajouter que celui-ci, si féru de propreté quand il s’agit de ses cochons, n’a jamais pris un bain de sa vie.

— Ce n’est pas vrai ! s’exclama M. Hougnot, qui en prenait un tous les mois environ.

— C’est la stricte vérité, déclara le docteur. J’ose affirmer, du reste, que l’immense majorité des paysans se trouve dans le même cas. Tenez : il y a une seule baignoire dans ce village ; c’est la mienne. Parfois, par hasard ou sous quelque prétexte, un paysan entre dans ma salle de bains. Il regarde longuement la baignoire en hochant la tête, puis, s’il est hardi, ose me demander : « C’est vrai, que vous allez là-dedans ? — Mais oui, mon brave. — Tout nu ? — Tout nu. » Il ricane bêtement, retrouve à grand’peine son sérieux, et s’en va en hochant de nouveau la tête. Mais je ne crois pas qu’un seul, malgré tous mes conseils, ait jamais cru un instant qu’il fourrait tirer profit de mon exemple. Ils se lavent parfois le visage et les mains, et ont une