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par un beau dimanche

utilisée, et le posa sur la poignée de la brouette, sans plus de succès que les autres fois.

— Après tout, pensa M. Brusy en ramassant son joujou, pourquoi le Soleil et la Terre, tournant dans ce que nous osons appeler l’Infini, auraient-ils plus d’importance, à certain point de vue, que deux molécules d’oxygène gravitant dans une fiole de pharmacien, parmi des milliards d’autres molécules, selon des lois non moins formelles sans doute, et pour des fins aussi complètement ignorées dans un cas que dans l’autre ? Supposons que je détache une minime parcelle de l’infini : quelques milliards de petits systèmes planétaires semblables au nôtre…

Et sa pensée s’envola tout entière dans les espaces sidéraux, tandis que son corps s’acharnait, patient, inlassable, dix fois, vingt fois, trente fois, et toujours sans succès, à faire tenir un caillou en équilibre sur une poignée de brouette.

L’âme du docteur était en train de vaguer autour du huitième satellite de Saturne, quand son corps reçut une forte tape sur l’épaule, et éprouva comme une vague sensation de s’entendre répéter pour la troisième fois :

— Eh bien, mon oncle, que faites-vous donc ?

M. Brusy, mal revenu de son immense voyage, jeta autour de lui des regards ahuris et vacillants. Sans qu’il en eût ouï le fracas formidable, un train s’était arrêté sur les rails ; aux portières des derniers wagons, cinquante face rieuses braquaient des regards amusés sur ce vieux monsieur assis dans une brouette et jouant gravement avec un caillou. À deux pas de lui, une grande jeune fille blonde, à la tête surchargée, comme un cheval de corbillard, d’ondulants panaches noirs et blancs, criait pour la quatrième fois :

— Eh bien, mon oncle, que faites-vous donc ?