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par un beau dimanche

trop petit pour le contenir. La pensée lui revint un moment d’une congestion cérébrale qu’elle avait eue étant enfant, disait-on, mais dont nul souvenir ne lui restait. Puis elle songea aux terribles crises de colère qui l’envahissaient parfois, tout à coup, pour des riens, et pendant lesquelles elle était comme folle, ne sachant plus ce qu’elle disait, ce qu’elle faisait, avec des envies furieuses de frapper, de mordre, de casser, de détruire quelqu’un ou quelque chose, et ne se souvenant plus, l’accès fini, de ce qui s’était passé. Elle ne souffrait pas, ne songeait même plus à la méchanceté calculée de son père, à l’inconsciente férocité des rustres qui venaient de la blesser si cruellement, à François qui n’était pas là pour la consoler. Ce qu’elle ressentait, c’était une exaltation singulière, immense, à propos de tout, à propos de rien, de mille idées futiles et saugrenues qui défilaient dans sa mémoire, rapidement, comme les scènes d’un cinématographe fonctionnant à toute vitesse. Elle revit, avec une intensité plus forte que la réalité même, une robe dont elle avait été très fière dix ans plus tôt, un sac de bonbons jadis reçu pour ses étrennes, une de ses amies qui était morte à la veille de sa première communion, et qu’on avait ensevelie dans sa robe blanche. Un véritable transport de passion la secoua au souvenir d’une poupée qu’elle aimait, à l’âge de six ans, d’une adoration exclusive et farouche. Puis, tandis que sa tête s’emplissait d’un bruit de foule joyeuse, de cloches agitées, de musiques tonitruantes, elle sentit dans sa bouche, indéniablement réelle, la saveur graillonneuse et douceâtre d’un beignet mangé, naguère, devant le comptoir tendu d’andrinople d’une baraque foraine. De temps à autre, sans même s’en douter, elle répétait :

— François… François… Où es-tu, François ? Elle continuait à courir, buttant contre les ra-