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par un beau dimanche

nant son souffle, il vit un jeune lapereau, puis un autre, puis un autre encore, puis un quatrième, un cinquième, un sixième, sortir du bois à leur tour, se grouper autour du gros lapin, et s’exercer de leur mieux à imiter ses palpitations nasales, lesquelles constituent, comme chacun sait, l’occupation continue et essentielle de leur espèce.

La maman lapin remuait le nez avec un zèle constant et exclusif, sans accorder le moindre jeu à quelque autre partie de son corps. Moins bien entraînés sans doute, les petits s’oubliaient parfois à brouter un brin d’herbe, à esquisser quelques menus sautillements. Puis, se souvenant soudain du but primordial de leur existence, ils se remettaient à froncer les narines d’un air grave et laborieux.

Blotti derrière son buisson, le docteur s’amusait comme un bébé qu’on a conduit voir Guignol. Mais, levant un instant la tête, il aperçut un mince trait noir, presque imperceptible, qui se dessinait, tout là-haut, au zénith, sur l’azur impeccable du ciel. Épervier ou aéroplane ? Désormais, on ne sait plus que décider, au premier abord. Toutefois, M. Brusy était un trop vieux campagnard pour hésiter beaucoup à reconnaître le léger balancement par lequel l’oiseau de proie se soutient sur ses vastes ailes étalées. Bientôt il vit le trait noir se déplacer et grossir peu à peu, en décrivant de larges cercles au-dessus de l’endroit où l’inlassable maman lapin enseignait à ses petits la manière de froncer le nez avec art et méthode.

Alors, toujours tapi derrière son buisson, le docteur affermit précipitamment ses lunettes sur son nez, ramassa une grosse pierre, puis attendit. Le rapace resserrait peu à peu les orbes descendantes de son vol, et, tout à coup, se laissa tomber comme une masse inerte. Sa chute, ar-