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Ayant empoché l’or, la vieille tourna le dos, murmura dédaigneusement : « Je ne sais pas… », et rentra dans sa cuisine.

Il sortit et s’aventura sur la route boueuse. D’abord, il risqua des pas prudents, le pantalon troussé haut, essayant d’éviter les flaques luisantes. Mais ayant constaté qu’il posait chaque fois le pied dans des flaques obscures, aussi profondes que les autres, il marcha bravement devant lui, dès qu’il eut les deux pieds bien mouillés, sans regarder où il les posait.

Au moment où il arriva en vue de la gare, un train en partait, dont il put voir encore le fanal d’arrière et le panache de fumée. L’employé qui avait mal aux dents n’était plus là. Un gros rougeaud, loquace et pris de vin, répondit à ses questions que la petite dame, crottée jusqu’aux yeux, « mais bien jolie tout d’même », était arrivée juste à temps pour sauter dans ce train. Le suivant passait dans trois petites heures.

Alors, il comprit que c’était fini, bien fini, qu’elle aurait pu oublier sa désillusion, la pluie, l’ex-sage-femme, le mauvais dîner, la chambre infestée de puces, les reproches, les gros mots, les récriminations injustes ; qu’elle lui eût peut-être pardonné tout ce qu’il avait dit, et même, chose bien plus difficile, tout ce qu’elle avait dit, mais qu’elle ne lui pardonnerait jamais de ne pas l’avoir rattrapée pour faire ce pénible voyage avec elle, malgré elle.

Puis, comme il n’y avait même pas un café aux environs de la gare, il s’assit dans la salle d’attente, presque heureux d’avoir à se gratter continuellement, parce que cela l’empêchait un peu de penser, de regretter, de souffrir…

Et il attendit le train, un train omnibus, bien entendu, qui devait passer trois heures plus tard.

Ils ne se sont jamais revus.