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flâneurs, regardant les femmes et les magasins, et rêvant à tout ce qu’on peut acheter pour un louis…

— Hé, Totor ! Tu es en bombe, ce soir ?

Totor se retourna et reconnut le fils Touron et le fils Barbette, deux heureux mortels qui tirent à des papas bénévoles des carottes de cinquante francs, et qui scandalisent toute la ville en se promenant bras dessus bras dessous avec des demoiselles.

— Ah ! tu viens à l’Anglais, sacré farceur ! T’as déjà reluqué la nouvelle serveuse, toi aussi !

— Moi… à l’Anglais… Où çà ?

— Devant ton nez, l’empoté !

Totor leva les yeux et vit une vitrine où, parmi les lignes caracolantes d’un vitrail en délire, s’étalaient ces mots : « Bar Anglais ».

— Entre, j’offre la première tournée !

Et avant d’avoir pensé à ce qu’il devait répondre, Totor, poussé par quatre bras vigoureux, se trouva hissé sur un immense tabouret, admirant de tous ses yeux la grosse Victoire, la nouvelle serveuse.

— Une chouette femme, hein, mon vieux !…

* * *

Minuit avait sonné depuis deux heures trente-cinq minutes, lorsque Totor s’arrêta devant la maison maternelle.

Solidement calé dans l’angle de la porte, il entama une lutte désespérée avec sa clef, qui montrait, cette année-là, un mauvais vouloir extraordinaire. Elle se mettait en travers de la poche, s’accrochait de toutes ses dents aux moindres plis, et refusait obstinément de sortir. Le combat fut si laborieux qu’après sa victoire, Totor ressentit un immense découragement en songeant aux formidables travaux qu’il lui restait