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Et comme le prince va monter dans le carrosse, mon homme enjambe résolument les banquettes et se précipite vers la scène, dans l’intention manifeste d’empoigner son débiteur. Il pose son gros soulier sur la main d’une vieille dame qui pousse un hurlement. Le mari de la dame lance un coup de canne à Guinglard, qui riposte par un coup de parapluie. Je veux m’interposer, et reçois la canne sur l’épaule, le parapluie sur la tête. La dame s’en mêle, et je sens ses griffes m’entrer dans les yeux. D’autres spectateurs interviennent, reçoivent des coups, dans la bagarre, et commencent à taper à leur tour. Bref, la représentation est interrompue, la police pénètre dans l’établissement, et conduit au poste douze personnes, dont Guinglard et moi, bien entendu. On nous a tous relâchés, sauf le vieux, qui a trouvé le moyen d’aggraver encore son cas. Le gérant du cinéma et le commissaire de police ayant voulu lui expliquer que le film était posé depuis plusieurs mois, et que son débiteur pouvait être mort ou jouer la comédie en Amérique, à l’heure qu’il est, mon gaillard s’est fâché de nouveau, a déclaré que tout le monde s’entendait pour le mettre dedans, et a fini par traiter le commissaire de filou. Alors, tu penses s’il l’a gardé, le commissaire ! Et il le gardera longtemps s’il n’attend que moi pour aller le réclamer.

Et mon pauvre ami conclut, en passant le poing dans la fente qui crevait son chapeau :

— Ah ! on m’y reprendra à initier des troglodytes aux derniers perfectionnements de la civilisation !

Puis, comme son faux-col ne voulait décidément plus rien savoir, il le lança, par la portière, au nez d’un monsieur dont la figure lui déplaisait sans doute.