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— Accompagne-moi, supplia-t-il. J’ai besoin de raconter cette aventure à quelqu’un, ça me soulagera. Barnache donna son adresse au cocher. Puis, affalé sur les coussins, il proféra, l’air encore tout ahuri :

— C’est la faute au père Guinglard !

— Le père Guinglard de Boisbrûlé ?

— Lui-même ! Le père Guinglard qui nous servait de si bonnes omelettes au lard, de si appétissantes truites au beurre, dans sa petite auberge du bord de l’eau… Le père Guinglard qui n’était plus venu à Paris depuis l’exposition de 1867, et avait juré de n’y jamais remettre les pieds, de ne plus quitter son Ardenne. Le père Guinglard est à Paris, il est même au poste, pour le moment, et c’est grâce à lui que tu me vois dans ce bel état.

Ma mine stupéfaite valait toutes les questions du monde. Barnache continua, tout en essayant vainement de rattacher son faux-col, dont les deux boutonnières étaient en charpie :

— Puisque tu y vins avec moi, tu sais que je vais, tous les ans, passer trois mois à Boisbrûlé, un des derniers villages de France où il n’y ait pas de casino, pas de théâtre de verdure. Je suis le plus ancien client du père Guinglard, qui me dédaigne un peu parce que je fais de la peinture, métier de fainéant, affirme-t-il, mais m’admire beaucoup parce que je lis l’écriture aussi couramment que l’imprimé, chose merveilleuse pour lui, qui s’embrouille dès qu’on le sort des caractères d’affiche ayant au moins trois centimètres de hauteur. Là-bas, je lui ai rendu quelques menus services, déchiffrant des paperasses ou écrivant ses lettres pour un procès qu’il eut à propos d’un mur mitoyen. Ayant gagné sa cause, il a décidé que