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comme une nouvelle preuve de ton attachement. On ne se plaint pas ainsi aux indifférents.

Je te dirai, cher ami, que l’année commence pour moi sous de bons auspices. Ma mauvaise étoile paraît avoir un peu changé. Une excellente maison suisse, toute patriarcale, dont nous sommes devenus les amis les plus chers et les plus recherchés, nous en a fait connaître d’autres et surtout un Français, très riche et tout aussi bon et généreux et qui nous a épousés, au point de nous accabler de politesses et aussi de demandes de tableaux, portraits, etc. Je dois lui finir un tableau de Vénus naissante avec les Amours, grand comme nature, que j’ai commencé il y au moins treize ans à Rome [1]. Cette ébauche avancée a toujours, je puis le dire, fait l’admiration de tous. Mais jamais personne ne m’avait dit : « Finissez-la pour moi. » J’ai dû faire d’autres ouvrages ; moins de mon inclination, et beaucoup

  1. M. de Pastoret, qui obtint pour Ingres, du Ministre des Beaux-Arts, la commande d’une Assomption transformée ensuite en Vœu de Louis XIII pour la cathédrale de Montauban. Ce même bienfaiteur commanda à l’artiste une Entrée de Charles V à Paris, avec Jean Pastourd, président du Parlement de Paris et présentant au roi les clefs de la ville.

    Ingres fut moins heureux avec la Vénus naissante ou Anadyomène qu’il devait achever pour M. de Pastoret. Dans les notes de M. Delaborde sur ce tableau, nous lisons : « Ce Français, si bien inspiré d’abord, ne put ou ne voulut pas poursuivre jusqu’au bout l’exécution de son projet. » Laissé dans l’atelier, ce tableau y attendit la visite de M. Benjamin Delessert qui ne le comprit guère mieux que M. de Pastoret. Finalement, M. Reiset se rendit acquéreur de cette belle œuvre, laissée pour compte, comme nous l’avons déjà noté.