Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/530

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 518 —

gloire artistique et avec les dépouilles opimes des maîtres vieillissants, le front d’un Phidias inconnu ou d’un nouvel Apelle ou, tout au moins, de quelque Alcibiade jeune comme l’aurore et beau comme l’audace, qui le verront appareiller vers la conquête des îles lointaines et toujours inconnues de l’Idéal à découvrir encore. Ou bien, cette jeunesse d’un Art qui n’espère plus en ses vieux dieux décrépits et encore jaloux de leur ombre, ne va-t-elle nous appeler aux joutes de la Nationale et des Artistes français que pour rester, avec ces autres espèces de Vierges Folles sans huile durable et œuvre bonne, à la porte de ce double Salon de 1909, où la Beauté appelle encore ses élus pour le destin de l’Idéal qui finissait et recommence ?

C’est par la porte de l’avenue d’Antin que tous ces petits Dante, épris de Béatrice, nous font entrer au Palais des Beaux-Arts. Pourvu qu’elle n’ait, cette année, rien de commun avec la porte de l’Enfer ; ou que celle par où nous sortirons, sur l’avenue Alexandre, comme d’autres Alighieri transfigurés, soit celle du Paradis où, après avoir affronté d’inoubliables laideurs, nous aurons contemplé des beautés dignes de mémoire ! Je ne sais si je me trompe, — et je le voudrais, — mais si les visiteurs des vingt salles que je viens de traverser n’en emportent pas un meilleur souvenir, nous aurons à regretter ensemble le Messie que nous promet l’art nouveau et qui n’est pas né, cette année encore, sous les chapeaux à cloche ou à potiron dont ces salles sont pleines, à telles amplitudes de ridicules couvre-chefs de la mode actuelle que la moindre beauté ne s’y fera bientôt plus jour et que vous quittez ces salles de commune banalité en une commune prétention d’élégance, avec ce vers de la Divine Comédie sur vos lèvres, pour formuler, comme au Cercle des Indifférents que stigmatise le poète, l’effet perdu de tant de forces inutiles aux grandes causes par lesquelles seules s’immortalise l’art digne de ce nom :

           Fama di loro il mondo esser non lassa.
           Non raggioniam di lor, ma guarda e passa.

Si les œuvres de génie font complètement défaut à ce Salon, les ouvrages de sympathie n’y manquent pas ; et la facilité avec laquelle ces derniers sont produits nous permettra aussi facilement d’y chercher la compagnie de quelques maîtres déjà connus, à défaut de ceux que l’avenir nous réserve et qui ne se sont pas donné rendez-vous, cette année, dans ces salles. Aussi bien, de l’une à l’autre, et sans préférence pour aucune, nous allons mentionner les moins mauvaises reproductions d’un art déjà vu.