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26 août 1857 : «… Enfin on a été juste, cette fois. Que ne l’est-on toujours ! À part la joie de ce qu’on vient de faire pour vous avec tant de justice, vous avouerez qu’on aurait pu aussi ne pas préférer Winterhalter à Flandrin, qui avait à l’Exposition deux chefs-d’œuvre de portraits. (Lesquels était-ce des portraits de M. et Mme Sieyès, de M. Marcotte, d’Ambroise Thomas, de Napoléon III ou du Prince Jérôme ?) Et tant d’autres de nos amis, Gatteaux par exemple ! Mais je fais taire encore une fois mes justes haines pour la mauvaise direction des Beaux-Arts, et je ne me réjouis encore que de vous, cher ami. Puisque vous n’êtes encore qu’au milieu de votre carrière, vous aurez un juste et glorieux avenir. Vous êtes sur la brèche, combattez beaucoup avec courage pour la bonne cause, vous et les miens. Car, pour moi, tout est fini : on me fait avaler le calice jusqu’à la lie… »

Il faut laisser ces souvenirs dont le Musée de Montauban déborde, et nous arrêter de boire à cette coupe si pleine encore. Aussi bien cet insatiable mécontent, à qui rien n’a manqué de ce qui fait un génie heureux au milieu des plus nobles ouvrages qu’il soit donné de produire à la plus longue vie d’un artiste toujours œuvrant, nous apprend-il lui-même qu’il est arrivé au terme de sa course, à son jardin de l’agonie et devant son calice d’amertume. Est-ce parce que cet Antique, de la race marmoréenne de l’impassible Phidias, a trop lu sa divine Iliade et trop fait son modèle de l’invulnérable Achille, dans le tumulte des camps stériles de Bellone ? Est-ce parce que ce Renaissant, de la famille humanisante de l’amoureux Raphaël, désespérait d’ouvrir enfin à l’idéal de la foi chrétienne son vieux cœur de payen trop classique et de trop académique barbare ? Il aima trop, pour sa tête romaine, le laurier des vainqueurs ; et, pour durer plus impérissablement, celui des Césars est tressé d’or ou de bronze. Pour faire croître sur sa tombe celui des bons poètes que le pays natal préfère, il eût fallu le cultiver de ses