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connu des artistes (M. Reiset), et pour une somme qui pût la mettre au moins à l’abri du besoin. »

Voici encore le crayon pour le portrait de M. Bertin qu’Ingres avait conçu, d’abord, debout et s’appuyant du bras gauche à un meuble. Il lui faisait tenir, tantôt son chapeau, tantôt sa canne. Les mois passaient et, raconta-t-il lui-même à Duval, « je ne trouvais rien. Certes, mon modèle était beau ; j’en étais enthousiasmé, mais ce que je faisais était mauvais. » M me Ingres l’interrompit en s’adressant à moi : « Il faut toujours qu’il recommence. Moi, je trouvais ça très beau. — Ne l’écoutez pas, mon cher ami. C’était mauvais, et je ne pouvais pas l’achever ainsi. J’avais eu le bonheur de tomber sur le meilleur et le plus intelligent des hommes. M. Bertin venait de Bièvres exprès pour poser ; il m’avait donné déjà un grand nombre de séances, et je me voyais dans la nécessité de lui dire que tout cela était peine perdue. J’étais désolé, mais j’eus ce courage. Savez-vous ce qu’il me répondit : — « Mon cher Ingres, ne vous occupez pas de moi ; surtout ne vous tourmentez pas ainsi. Vous voulez recommencer mon portrait ? À votre aise ! Vous ne me fatiguerez jamais et, tant que vous voudrez de moi, je serai à vos ordres ». Cela me remit la joie au cœur, ajouta M. Ingres. Je le priai de prendre, ainsi que moi, un peu de repos et, plus tard, j’ai trouvé et j’ai fait le portrait que vous avez vu. » Amaury Duval continue son intéressant récit en nous rapportant aussi les impressions que M. Bertin lui confia : « Ingres pleurait, me disait-il, et je passais mon temps à le consoler. Enfin, il fut convenu qu’il recommencerait. Un jour qu’Ingres dînait ici, nous prenions, comme aujourd’hui à cette même place, le café en plein air. Je causais avec un ami et j’étais, paraît-il, dans la pose du portrait. Ingres se lève, s’approche de moi et, me parlant presqu’à l’oreille : « Venez poser demain, me dit-il ; votre portrait est fait ». Le lendemain, en effet, je reprenais mes séances qui furent de très courte durée ; en moins d’un