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l’avait tellement domptée, la nature, et la gardait si bien dans sa mémoire que, au lieu qu’elle lui commandât, on disait que c’était elle qui lui obéissait. Et, en effet, il la faisait ployer à tout ce qu’elle avait de plus beau, et elle venait d’elle-même se placer dans ses ouvrages. On eût dit que, comme une maîtresse passionnée, elle n’avait de si beaux yeux et des charmes si puissants que pour l’heureux et privilégié Raphaël, espèce de divinité sur la terre.


Poussin avait coutume de dire que c’est en observant les choses qu’un peintre devient habile plutôt qu’en se fatiguant à les copier. Oui, mais il faut que ce peintre ait des yeux.


« Celui, dit Proclus, qui prend pour modèles les formes de la nature et qui se borne à les imiter exactement ne pourra jamais atteindre à la beauté parfaite, car les productions de la nature sont pleines d’imperfections et, par conséquent, loin de pouvoir servir de modèle de beauté. » (Tout ce passage est biffé de dix traits en travers ; un trait de plume oblitère ceux qui sont soulignés. Le réaliste qui était dans Ingres s’est sûrement révolté, à la lecture de cette proposition platonique.) Phidias parvint au sublime en corrigeant la nature avec elle-même. À l’occasion de son Jupiter olympien, il se servit même de toutes les beautés réunies de la nature entière pour arriver au sublime de l’art, et non à ce qu’on appelle mal à propos le beau idéal. Car ce mot ne doit être conçu que comme l’assemblage des plus belles parties de la nature, qu’il est rare de trouver parfaite en ce point, la nature étant d’ailleurs telle qu’il n’y a rien au-dessus d’elle, quand elle est belle et que tous les efforts humains ne peuvent, je ne dis pas la surpasser, mais même l’égaler.