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Le jugement d’autrui, loin d’affaiblir le nôtre, ainsi que le pensent beaucoup de monde, sert, au contraire, à former et à consolider nos idées, qui, dans l’origine, sont faibles, informes et confuses ; elles deviennent, au contraire, solides, claires et parfaites, avec l’autorité et la pratique de ceux dont on peut dire que les ouvrages ont été consacrés par l’approbation des siècles. L’étude ou la contemplation fructueuse des chefs-d’œuvre de l’art ne doit servir qu’à rendre celle de la nature plus facile, et non à la faire rejeter : la nature étant ce tout dont toutes les perfections doivent émaner et tirer leur origine. Raphaël, en imitant sans cesse, n’en fut pas moins toujours lui-même.


Les Grecs cultivèrent la peinture avec une ardeur égale à la beauté de leur génie et la portèrent à un tel point de perfection qu’elle parut surpasser la nature même. À parler strictement, les statues grecques ne surpassent la nature que parce qu’on y a rassemblé tant de belles parties que la nature n’est jamais parvenue, ou bien rarement, à réunir dans un même sujet. L’artiste qui opère ainsi est admis dans le sanctuaire de la nature ; il jouit alors de la vue et de l’entretien des dieux, il en observe la majesté comme Phidias, et en apprend le langage pour en faire part aux mortels.

On doit se rappeler que les parties qui composent la plus parfaite statue ne peuvent jamais, chacune en particulier, surpasser la nature, et qu’il nous est impossible d’élever nos idées au delà de la beauté de ses ouvrages. Tout ce que nous pouvons faire est de parvenir à opérer le rare et divin mélange de la nature et de l’art.


C’est sur les débris des ouvrages des Anciens que les arts reprirent naissance chez les Modernes ; et ce sont leurs moyens qu’il faut chercher à faire revivre parmi nous, en les continuant.