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macabre que celle d’un autre hiver sinistre, où à travers une tempête de neige, celui qu’Ingres appelait son divin Mozart alla trouver, à 35 ans, sans autres assistants que les fossoyeurs, sa pauvre place dans la fosse commune d’un triste cimetière d’Allemagne. Sur la colline du Père-Lachaise où la dépouille mortelle d’Ingres repose, dans la XVIIIe division, non loin de celles de Delacroix et de Balzac, on a, depuis, érigé à sa mémoire un monument funèbre aussi académique et aussi froid que les plus correctes de ses œuvres peintes ; et de l’attique rectangulaire où Bonassieux a placé le buste marmoréen du maître, celui-ci, de ses yeux froids comme son marbre, regarde au loin l’immense Paris qui, partageant ses palmes entre tant de ses fils glorieux, n’en a pu réserver à celui-ci qu’une seule, — celle que l’artiste a ciselée sur la stèle. Et de ce qui fut Ingres, voilà donc tout ce qui resterait au cimetière commun de nos célébrités nationales !

À Dieu ne plaise ! C’est surtout à ce petit Musée de Montauban que l’âme du transfuge est revenue, qu’elle vit et vous attend pour vous parler encore, avec la part la plus durable de ses œuvres les plus dignes de lui survivre. Ô ! le silence aimable de ces salles, à peu près toujours vides d’un monde frivole qui n’aurait rien à y apprendre, toujours pleines de la mémoire et des exemples d’un maître qui réserve aux siens le plus professoral et le plus inoubliable enseignement. Voyez-vous, dans la longue suite de ces cinq salles, cette exposition permanente de 5.000 dessins dont les feuilles jaunies donnent aux murs l’aspect d’un « bois sacré », d’un bois antique de l’Age d’or ? Levez les yeux, tendez les mains, cueillez et savourez ici les plus merveilleux fruits que vous offre le plus incomparable maître capable de former les plus valeureux élèves, auxquels il restera, — aux termes de l’enseigne inscrite au fronton de cette grande École d’Ingres, — à peindre pour lui, s’il dessina pour eux :

— Si j’avais une enseigne à mettre au-dessus de ma