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familial de Montauban a pris l’ampleur d’un grand Musée de capitale, avec deux premières salles où les admirateurs d’Ingres sont venus déposer une double et éparse rangée de tableaux provenant de toutes les Écoles. Ils représentent là comme une double rangée de victimes antiques conduites, par l’Administration, au sacrifice d’un dieu nouveau dont va s’ouvrir le temple qu’on devine à cette petite porte à deux battants, au-dessus de laquelle on ne lit pas sans émotion la simple inscription suivante :

Musée Ingres

Et qui sait si la première victime que ce dieu domestique va immoler à ses propres pénates n’est pas ce grand tableau de Jésus parmi les Docteurs qui voisine la porte encore close du redoutable sanctuaire ? Ce fut la dernière erreur picturale du maître, — oserait-on dire ici, puisqu’aussi bien on a pris son parti du sacrifice final qui se prépare et que, après cette dernière faute du maître, il n’y aura plus qu’à entrer dans le sanctuaire de ses dessins et qu’à y admirer sans réserve la plus admirable collection qu’y ait assemblée un des plus grands professeurs du crayon. Est-ce à dessein aussi qu’on a placé tout près, de ce tableau que l’imagination insuffisante d’Ingres a emprunté à la composition du Parnasse de son divin modèle Raphaël, cette autre copie de l’École d’Athènes d’après l’élève Balze ? Elle semble mieux souligner, à gauche du Jésus parmi les Docteurs, la faiblesse avouable d’un peintre dont le crayon incomparable fut le poignard tragique avec lequel — telle Médée ses enfants — ce génial Antique paraît aussi se plaire à immoler ses propres œuvres à une divinité fatale, plus forte que la sienne ?

La petite porte s’ouvre, derrière laquelle votre cœur a battu d’une émotion d’art que vous n’oublierez jamais. Et vous entrez dans l’intimité de l’ancien appartement des évêques de Montauban, ou mieux chez M. Ingres lui-même. Car tout est ici du maître, bien chez lui, dans ces