Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 35 —

fait pour moi, et sur quoi tu as toujours gardé un si généreux silence.

Je te remercie de tout ce que tu m’apprends, pour tout ce qui te touche. Je le lis avec un plaisir avide, et je vois que tu es né pour cultiver les arts plutôt que le barreau. Ce n’est pas moi, qui te dirai non. Lorsque l’on est né avec ce sentiment, on s’élève au-dessus des autres hommes ; on est véritablement quelque chose de plus qu’eux. Moi, mon ami, je suis pour les arts, comme tu m’as connu ; l’âge et la réflexion auront, j’espère, assuré mon goût sans en diminuer la chaleur. Mes adorations sont toujours : en peinture, Raphaël et son siècle, les Anciens avant tous, les Grecs divins ; en musique, Gluck, Mozart, Haydn. Ma bibliothèque est composée d’une vingtaine de volumes, chefs-d’œuvre que tu devines bien. Avec cela, la vie a bien des charmes.

Je te dirai aussi, mon cher ami, que j’ai uni mon sort à une excellente épouse, qui fait mon continuel bonheur. Elle m’a apporté une véritable dot en elle-même et notre ménage est, j’ose le dire, cité en exemple. J’éprouve, de ce côté, le bonheur le plus parfait. Mais il faut te dire aussi, qu’elle est Française, une bonne Champenoise. Si ce n’était ainsi, je serais bien à plaindre, mon cher ami ; car, avec mon talent, je n’ai pu encore parvenir à mettre rien de côté et je vis, comme on dit, à la journée. Un tableau pousse l’autre. La chute de la famille Murât, à Naples, m’a ruiné par des tableaux perdus ou vendus sans être payés ;