Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 454 —

battre ; et combien, cher ami, vous avez été plus adroit et plus heureux que moi, ayant obéi à vos goûts sédentaires et philosophiques que je partage, d’ailleurs, avec vous, mais que je n’ai pu effectuer. Je sens bien que les chagrins et les incidents malheureux de la vie ne vous ont pas manqué ; mais vous aviez les beautés de la nature, la paix, l’isolement, le goût et la poésie de l’art que vous conservez toujours, les beaux souvenirs et cette divine musique dont Dieu nous a donné l’intelligence, les chefs-d’œuvre de la littérature antique et moderne qui m’occupe encore, le matin et le soir. Cette divine antiquité des Grecs, cette renaissance de Raphaël et ce XVe siècle : voilà ce qui fait vivre, n’est-ce pas ?

Mon cher ami, nous sommes bien vieux, cassés. Je me plais à croire, néanmoins, que vous êtes à peu près, comme moi ; et je le désire, car je n’ai pas d’infirmité sérieuse, je n’ai que la maladie de mon âge. Age sérieux cependant : 82 ans, au mois de septembre prochain ! J’y pense peu, surtout la palette à la main, dans mon atelier où je suis plus heureux certainement que si j’étais roi. Je ne peux cependant plus vous aller voir, mes bien chers amis ; je me remue difficilement.

Vous avez plus de force peut-être, que moi. Venez donc nous voir, vous ferez plaisir à Mme Ingres et à tous nos amis. Là, à la table des vieux amis, nous continuerons notre conversation où l’amitié et les arts auront belle part et où nous serons heureux avec notre brave Armand