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et n’y comprenant rien. Car je ne puis quelquefois y croire, tant cet arrachement de mes propres entrailles est au-dessus de notre savoir misérable et malheureux, dans cette triste vie qui n’est semée que d’embûches et finit ainsi. Je n’ai que deux pas à faire d’ailleurs pour aller la retrouver, où ma place — je viens de la préparer à côté d’elle — m’attend.

Tu me parles de gloire et d’art, mon cher ami. Oh ! il y a longtemps que la méchanceté et la folie absurde des hommes m’ont singulièrement désillusionné en toutes ces choses ; et sans être un misanthrope, je vis, sinon plus heureux, au moins plus dégagé des choses d’ici-bas. Est-ce que, depuis deux ans, ô horreur ! nous ne vivons pas comme dans les ténèbres du malheur ; et où pourrais-tu voir poindre dans l’avenir le moindre point où la vérité puisse arriver ? Tu n’as, mon ami que trop éprouvé toi-même, — et cela dans cette autrefois si heureuse et belle Rome, — les fruits les plus effrayants des fureurs démagogiques et révolutionnaires de ces diables que l’enfer a suscités pour détruire la société. Tu penses bien, mon bien cher, que nous t’avons suivi dans tous ces périls avec notre tendre sollicitude, moi et ma pauvre femme, sans oublier ta chère Colombe qu’elle aimait tant, parce qu’elle est bien bonne. Mais je ne sais rien de toi, de nos amis, les Flacheron, Gabriac et autres, auxquels mon cœur s’intéresse. Je te serais donc bien obligé de me mettre au courant de leur sort et de me faire espérer aussi enfin que, sans quitter cette si belle Italie pour toujours, tu penserais à venir en France la faire connaître à ta femme, et y revoir après un si long temps ton vieux et fidèle ami, et renouveler, en parlant de celle qui t’aimait aussi, le bonheur que nous avons eu de jouir de quelques douceurs d’amis dans cette villa Médicis où tu venais toujours à propos et à notre grand plaisir. Enfin, cher et vieux ami, penses-y et viens