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XLVII
Dampierre, 14 septembre 1843.

Il y a longtemps que je veux causer avec toi. Je te remercie de tes belles pèches, belles comme le prisme d’un beau soleil couchant du midi aux couleurs d’or et de feu ; et le goût en est digne des dieux et de l’Age d’Or où je veux les pein-

    parfait. Et lorsque, harassé de fatigue au point que les jambes ne vont plus et tombant de sommeil, on croit qu’on va goûter le repos… faire toilette, aller dans le monde et se coucher à minuit. Cher ami, à soixante ans bien sonnés, c’est trop, c’est trop, et je n’y pourrais tenir si je n’avais l’espoir de me reposer trois mois à. Dampierre.

    Mais après, autre gibier !… les portraits. Que Dieu les confonde ! les dames de Rothschild, d’Haussonville, le Prince (le duc de Nemours), encore une copie du portrait du duc, la chapelle de Dreux, le dessin pour la gravure d’Homère, et tant d’autres ouvrages qui m’attendent quand ceux qui me feraient tant de plaisir à faire… mais ils me sont défendus. Tu vois comme je suis heureux, dans une position si enviée… excepté par moi.

    Enfin, ma composition pour Dampierre est toute trouvée, après un travail de trois mois. Rien de pire que l’eau qui dort. Décidément, la comédie est plus difficile que la tragédie ; aussi vais-je encore élever Molière dans une nouvelle édition de l’Apothéose d’Homère’.

    Quant à mon Age d’Or, voici le court programme que j’ai imaginé, un tas de beaux paresseux, car j’ai pris hardiment l’âge d’or, comme les anciens prêtres l’ont imaginé :Les hommes de cette génération nont point connu la vieillesse ; ils vécurent longtemps, toujours beaux et jeunes. Donc, point de vieillards. Ils étaient bons, justes et s’aimaient. Ils n’avaient de nourriture que les fruits, Veau des fontaines, le lait, le nectar. Ils vivaient ainsi, en mourant s’endormaient, et devinrent de bons génies qui avaient soin des hommes. Astrée, la justice, les visitait souvent et ils V aimaient, et Saturne, dans le ciel, contemplait leur bonheur.

    Moi donc, pour mettre toutes ces bonnes gens en scène, il