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Ingres ne voulait pas qu’on s’empressât d’encadrer un tableau avant de l’avoir terminé. Il trouvait, sans doute, la chose inutile et même nuisible ; et il résumait originalement ainsi sa pensée :

— Le cadre, c’est la récompense du peintre.


Ingres usait ses pinceaux jusqu’aux trois derniers poils ; puis, leur ayant donné un délicat baiser d’adieu, il les brûlait. L’un d’eux, tout petit, arrivé à cette extrémité, semblait lui dire : « Oh ! laisse-moi quelques heures, de grâce ! Peut-être bien que tu pourras faire encore quelque chose, de moi. » — « Je l’ai écouté, racontait le maître, et j’en ai peint toute une tête. — un bon morceau peut-être. »

— Ce n’est pas, ajoutait-il, au bout d’un manche de brosse qu’il faudrait peindre. Eh ! pourquoi pas à un tronc de sapin ?… à un mât, quoi !


Un élève d’Ingres, le beau X…, n’ayant en plus de sa plantureuse beauté que ses peu vaillants pinceaux, trouvait à épouser, en traversant Rome, une richissime princesse russe, à moins que ce ne fût une duchesse anglaise, ou une simple Américaine, toujours non moins richissime. À la tête d’un grand train de maison et d’une nombreuse famille, il habitait principalement Londres l’été et Florence l’hiver. En fait d’art il brocantait, il brocantait partout, il brocantait toujours, il brocantait sans cesse.

Voici qu’un jour, flânant dans la ville de Dante et des Médicis, il aperçoit chez un très-modeste marchand de bric-à-brac de faubourg, presque dans le ruisseau, une pauvre petite toile à moitié détachée de son châssis. Il y distingue d’abord et y reconnaît bientôt, comme sujet principal, une femme debout, habillée de blanc : madame Ingres, la première ; puis, au second plan, une figure d’homme en habit de travail : Ingres lui-même ; et, comme