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abrégés. Les jours suivants, même scène, avec cette différence que Félève placé près du squelette n’eut pas de conseils du tout. J’avais donné quinze jours. J’avais tait la part trop grande. La semaine suivante, le inassier vint annoncer aux élèves, que M. Ingres ne mettrait plus les pieds à l’atelier, tant que cette horreur y serait accrochée ». Est-ce à dire que cet irréductible ennemi des laideurs de la tombe n’aurait pu se réconcilier avec les mystérieuses beautés que, parfois, la mort aussi nous révèle ? Écoutez encore cette histoire :

« C’était pendant le rude hiver de 1830, raconte le Dr Latour, alors directeur de l’Union médicale. Sous la direction de l’excellent Vidal (de Poitiers), nous nous livrions à la Salpêtrière, Fontan et moi, à des dissections sur les cadavres des pauvres femmes décédées dans l’hospice. Romain Gazes était le neveu de Fontan. L’élève peintre d’Ingres nous accompagnait quelquefois à l’amphithéâtre. Un jour, nous trouvons sur la table le corps d’une jeune femme splendidement belle, qui était morte dans la section des aliénées. Romain Gazes fut si vivement impressionné par la beauté des formes de cette infortunée qu’il envoya un commissionnaire à son illustre maître, en l’invitant à venir voir ce chef-d’œuvre plastique. Ingres se rendit à cette invitation et fut frappé, comme son élève, de la perfection de ce corps. Les extrémités surtout, pieds et mains, de ce cadavre excitèrent son admiration, et il voulut en conserver et en emporter le souvenir en les faisant mouler immédiatement. — Quand vous vous trouverez en présence du tableau d’Ingres, la Source, regardez avec attention les pieds et les mains de cette belle figure : ce sont ceux de la pauvre folle de la Salpêtrière. »

Nous ne saurions mieux compléter ces impressions prises à l’atelier d’Ingres qu’en empruntant les anecdotes qu’on va lire aux manuscrits de M. Jules Lau-