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qu’il ne peut donner est l’œuvre du génie ou du goût de l’artiste. Enfin, dans ce tableau, bien des choses, sinon presque toutes, sont peintes sur des dessins, en l’absence du modèle vivant (ceci est pour nous seuls) qui, d’après ce que vous pensez et c’est aussi mon avis, donne indispensablement la vie à une œuvre et la fait palpiter… (Op. cit.)

J. Ingres.

À Monsieur Schnetz.

Vendredi-Saint, 1841.

Mon cher Schnetz, j’éprouve toujours un véritable chagrin de mon invincible et vieille paresse, car je sais bien aussi ce que vous faites pour moi, votre véritable ami. Personne ne vous aime et estime plus que moi, et je suis heureux de penser que vous continuez un poste et un lieu où j’ai laissé tant de sentiments d’admiration et de bonheur. Oui, et dans mes regrets, c’est ma consolation pour moi de croire y être encore par vous et par la manière heureuse et honorable avec laquelle vous y vivez et par votre bon souvenir de moi, mon cher Schnetz. Y travaillez-vous ? J’aime à le croire. Votre chère sœur, à peine arrivée parmi nous, s’est éclipsée à son château et n’a pu nous dire que trop peu de choses de ce qui vous touche. Moi, je suis, j’ose dire et malgré tout, comme transplanté ici, et ne serait-ce qu’une si longue vie d’habitude en Italie, elle me manque, et cela toujours plus ; cette vie-ci n’est pas du tout la mienne.

Et par contre, je suis encore englué dans les portraits qui me poursuivent comme des génies malfaisants, quoique cependant je n’aie pas trop à me plaindre de ceux que j’ai faits et exposés chez moi, entr’autres celui du Duc d’Orléans qui, comme toujours, a été pour moi de la grâce la plus attable et la plus généreuse. Mais encore ce n’est pas là ce que je voudrais ;