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caractère. J’ai tant de confiance en vous, vous regardant comme le plus sincère de tous ceux que je connais au monde, (je n’excepte personne), que, de mon côté, je crois utile et j’ai le devoir de vous instruire avec la plus grande effusion de sincérité de ce que je suis présentement et de ce que j’ai sur le cœur.

Jai refuse de peindre la Madeleine : je refuserais encore, mais pas du tout pour les motifs que vous mettez en avant. Une fois engagé, j’aurais su arriver, malgré tout ; car je suis capable, tout comme un autre, d’exécuter en • peu de temps, ainsi que cela est arrivé pour le Plafond d’Homère, qui n’est encore que trop fini. Dans le conseil que vous me donniez de refuser, vous ne me laissiez pas le droit de penser qu’en acceptant je trouvais l’occasion unique, cette occasion grâce à laquelle nos grands peintres ont créé tant de belles choses, l’occasion qui a fait Napoléon… Eh bien ! cher ami, (et je ne vous en veux nullement, mais je pense que vous avez manqué en ceci de patriotisme, vous qui en avez tant et qui en donnez tous les jours les plus grandes preuves), vous auriez dû, par ce sentiment méme, m’engager le premier à accepter cette noble mission pour l’avantage et la gloire du pays…

Selon vous, j’ai fait « une faute grave » d’aller à Rome. La faute grave est bien plutôt à ceux qui m’ont laissé partir, l’administration la première. Mais comme les causes existent et sont toujours les mêmes, je referais encore ce que j’ai fait, dussé-je souffrir encore tout ce que j’ai souffert…

Voilà, mon cher ami, tout ce que je voulais vous dire avec une franchise amicale, égale à la vôtre. Vous êtes le seul au monde, à qui je puisse à ce point ouvrir le fond de mon cœur et en confier les plus intimes pensées. Aussi je dois croire que cette lettre ne sera lue que par vous… Ma bonne femme et