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conscience et assurance de l’événement. Vous aurez, je le pense, de plus, à la tête de vos nombreux amis, le respectable M. Quatremère et M. Thévenin. Je suis seulement fâché de n’y être que par l’expression de tous mes vœux que, s’il y avait lieu, je vous prie de rendre aussi puissante que possible. Car combien j’ai des raisons pour voir votre bonheur augmenté en toutes choses, et je vous assure que j’y prendrai toujours la part la plus vive et la plus sensible.

J’en viens à moi et me confesse de mes péchés. Paresseux, comme vous le savez, je suis depuis longtemps avec une si pauvre tête, si malade en pleine santé. En un mot, mes nerfs me tuent depuis six mois, au point de ne pouvoir souvent m’occuper, tant je souffre de spasmes à l’estomac, au cœur, et cela finit par des vomissements qui me fatiguent horriblement, au point que je suis quelquefois bien près du découragement. Et voilà enfin pourquoi je n’écris pas, pourquoi je ne peins pas, et avec tout cela toujours occupé de choses et autres, enfin pourquoi ni le tableau du duc d’Orléans[1], qui doit passer le premier toujours, bien entendu, n’est pas terminé et par conséquent aussi celui de Pradier[2]. Je plains de tout mon cœur ce brave ami ; mais, comme je lui ai dit cent fois : à l’impossible nul n’est tenu, malgré les vagues promesses que j’aie pu lui faire. J’ai cent raisons à donner, plus fortes que la volonté que j’ai de le servir ; mais je n’en sens pas d’autres, et je ne peux être la cause qu’il ne fait rien. Un artiste doit avoir toujours à faire, et il a tort de m’accuser de son inaction ; il est d’un art si facile à prendre et à reprendre ! J’espère, cher ami, que vous sentirez la

  1. La Stratonice, aujourd’hui au Musée de Chantilly.
  2. Le graveur C.-S. Pradier, frère du statuaire J.-J. Pradier.