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nue tous les jours, que, ma foi, mon cher, au diable la galère ! La vie est assez difficile par toutes ces vicissitudes ; et moi j’irais encore, moi tout seul ; affronter des masses ignorantes, intéressées et brutales. J’ai beau crier, on ne m’écoute nulle part. Raphaël viendrait lui-même, il ne se ferait pas entendre. Gluck est chassé de l’Opéra. Lisez le journal intitulé « l’Artiste », interrogez même les doctrines des coryphées de l’art d’aujourd’hui dans MM. Gros, Gérard, Guérin et tant d’autres. Tout est frappé de mort. L’effort sera-t-il pour moi seul ? Il me semble t’entendre : « Toi, fais des tableaux, travaille : tu les forceras, tu pourras opérer quelque miracle ». Je veux bien croire que j’y pourrais quelque chose, s’il y avait de la justice, mais à quel prix ! Aie donc un peu pitié de moi et ne me fais pas crever, avant le temps.

Et qui est-ce qui a fait le plus de sacrifices, pour la cause sacrée des arts ? J’ai mis plus de cinq ans à peindre le tableau de la Vierge. J’ai emprunté pour le faire, et je ne finis qu’à peine de payer les dettes que j’ai contractées pour lui. Je devrais être riche, si on avait été juste envers moi. « Fais des tableaux ! » C’est très bien ; mais, pour les faire comme je les fais, il me faut beaucoup de temps, à raison de leur mérite. L’art est bien plus difficile pour moi que pour les autres, tu le sais bien. Je travaille longuement et avec peine, quoique cela ait l’air d’être fait promptement et facilement. Là où le peintre vulgaire