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j’avance en âge, plus mon âme est jeune et brûlante. Que ne puis-je être au milieu d’une île, d’un bois, au lieu de Paris, pour n’y perdre jamais un seul moment et le consacrer à l’étude et à des créations, choses pour lesquelles je me suis senti toujours appelé. Adonc, m’y voilà ! J’ai promis cet ouvrage à ma femme, pour ses étrennes de janvier. Je serai galant et de parole, et je te fais la même promesse parce que je sais le bien que tu me portes, me voulant gloire et profit. Es-tu content, mon bon et cher grognon ?

Je n’ai pas besoin de te parler du tableau du Sacre : tu dois tout savoir. La décadence continue, de plus belle. N’y aurait-il que moi, pour soutenir ce faite qui tombe ? je resterais, oui ! Mes seuls reins seraient-ils assez forts ? j’en doute. As-tu vu dans l’Universel un compte rendu de mon tableau de Philippe V ? Ce pays et les hommes sont vraiment comiques. L’autre jour, le misérable Journal des Artistes m’ayant dit des choses désobligeantes ? (et parce que je n’ai pas voulu de son journal), m’a adressé, chez moi, ce même article. Heureusement, que j’en ai ri. Faut-il cependant que l’homme honnête et consciencieux, tout voué à l’étude, soit le jouet de l’ignorance et de la méchanceté du premier venu qui veut imprimer ! C’est vraiment trop dur. Mais allons à mon atelier ; bien persuadé, d’ailleurs, que la vérité reste toujours au fond du vase, pour en ressortir plus belle et éternelle. L’essentiel est de bien faire. Tâchons-y et laissons faire le temps.