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voici que le délicat jeune homme, dont la correspondance témoigne de sentiments si élevés et d’une éducation de lettres et d’arts si complète, venait de frapper à la porte de son grand compatriote, à l’heure même du Salon où il aurait eu tant de plaisir à figurer avec quelques insignifiants petits tableautins. La jeunesse au Salon, quand les vieux dragons vigilants de cet autre Jardin d’Hespéride en défendaient l’entrée à tout ce qui n’était pas leurs œuvres personnelles, trop nombreuses déjà pour un public fatigué par tant d’insoutenables prétentions ! « Je ne puis vous donner des nouvelles positives au sujet de mes tableaux, écrit-il à ses parents, le 3 août 1824. J ai fait la démarche projetée auprès de Gros. Pleyel a fait remettre, par un de ses amis, une note avec recommandation à Girodet. Je ne sais vraiment plus à quel saint me vouer. C’est effrayant, que la quantité d’ouvrages qui sont présentés. Et, tous les ans, cela augmente. J’ai vu quelques paysages de Dulac ; ils sont mauvais, mais on a l’habitude de le recevoir, et il faut de grandes raisons pour refuser un homme qui a déjà été exposé et qui s’en fait une espèce de réputation. » À la date de cette lettre, Ingres, à la vérité, faisait route de Florence à Paris ; mais n’aurait-il pas assez de ses propres affaires, quand il serait arrivé dans la place où lui livraient bataille de si opiniâtres rivaux ?

Et puis, le Salon fut oublié, le Salon où Ingres ne savait pas s’il exposerait encore lui-même, le Salon, « temps perdu pour les artistes qui ont leurs intérêts et leur gloire à soigner ». Et, la saison du Salon étant passée et celle des « abordages à l’Institut » survenant, le jeune Prosper Debia fut noyé dans la grande mer des combinaisons parisiennes où Ingres ne repêcha son dévoué compatriote que lorsqu’il fallut, deux ans après, préparer au vainqueur une entrée digne de ses triomphes et que le petit Montalbanais put servir les intérêts du grand concitoyen, dans leur commune ville natale.